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suffisait à Godolphin de laisser agir l’influence des ducs de Somerset et de Devonshire dans le conseil privé. Aussi lord Nottingham demanda-t-il qu’ils n’y fussent plus appelés, et comme la reine, très attachée à Somerset, résista, il donna sa démission. Deux tories déclarés quittèrent avec lui des charges de cour. La partie modérée du ministère se sentit plus forte. Ainsi l’esprit des whigs, à défaut des whigs eux-mêmes, reprenait peu à peu le dessus.


VI

Cependant il y avait nécessité de ménager une majorité forte et passionnée. On pouvait ne pas la satisfaire sur les choses, non la blesser dans le choix des personnes ; on devait se rapprocher d’elle, même en s’éloignant de ses idées. La situation voulait une politique compliquée. Le torisme franc et qui marche à découvert, déjà suspect à la chambre haute, le devenait à l’opinion publique. Il fallait quelque chose de moins décidé ; il fallait des hommes adroits et clairvoyans, à qui toute consistance fût indifférente, à qui la passion fût étrangère, qui prissent pour règle l’intérêt du moment et fissent du pouvoir le but et non le moyen, de ces hommes qui n’ont pas une cause à servir, mais une ambition à satisfaire, et qui au besoin gouvernent comme d’autres conspirent. Harley fut nommé secrétaire d’état à la place de lord Nottingham. Il était attaché au parti de la haute église sans partager ses fureurs : il était puissant dans la chambre basse, il y était peu compromis, puisqu’il la présidait et n’y parlait pas. Son intelligence était prompte et flexible, ses formes conciliantes, son expérience consommée, son égoïsme bienveillant ; mais, quoique courageux au besoin et persévérant, il avait l’esprit timide et indécis : il ajournait tout, il négligeait tout, dépensant beaucoup d’activité à éviter l’action, usant toute son habileté dans l’intrigue, et condamné par ses défauts à une incomparable fausseté.

Saint-John s’était dévoué à lui, autant du moins que Saint-John se dévouait. Saint-John était de position comme l’extrême droite de Harley, mais il n’avait pas plus de préjugés que lui, et son esprit était aussi souple, quoique son caractère le fût moins. La chambre n’avait pas de plus grand orateur. Harley fit Saint-John secrétaire de la guerre (avril 1704). Cette place, importante dans les circonstances où se trouvait l’Angleterre, ne donnait pourtant pas plus qu’aujourd’hui le rang de ministre ni l’entrée dans les conseils de cabinet ; mais elle posait Saint-John dans la chambre comme représentant du gouvernement, à côté des deux secrétaires d’état Hedges et Harley, et de Boyle, chancelier de l’échiquier. C’était un ministère intermédiaire, un de ces ministères contre lesquels tout le monde se