Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la bannière rebelle. Les deux armées se rencontrèrent dans une des plaines d’Havaii. La victoire fut longtemps disputée ; le défenseur des dieux succomba enfin sous les coups des athées et des révolutionnaires. Le peuple se hâta de briser des idoles qui se montraient impuissantes à protéger leurs adorateurs. Toutefois ce scepticisme n’était qu’un premier pas vers des croyances nouvelles. Dépouillés de la loi de leurs pères, les naturels d’Hawaii subirent avec empressement le joug que leur apportèrent en 1820 les missionnaires des États-Unis. En quelques années, les îles Sandwich appartinrent au protestantisme. La conversion des principaux chefs et l’exemple tout-puissant de l’altière princesse qui avait la première osé violer le tabou amenèrent sur les bancs des écoles méthodistes des enfans et des femmes, des hommes dans la force de l’âge et des vieillards décrépits, troupeau d’aveugles habitués à marcher dans le sentier que choisissaient leurs maîtres. La Bible remplaça donc sans difficulté le tabou, et les commandemens de Dieu devinrent dans les îles Sandwich la base officielle de la morale publique. Peu de temps après, une constitution fut promulguée ; les droits des chefs et les charges de la classe laborieuse furent minutieusement définis, l’administration de la justice fut régularisée, et chaque année, vers le mois d’avril, on vit s’ouvrir à Honoloulou l’assemblée dans laquelle les principaux chefs, assistés de sept députés élus par le peuple, étaient admis à discuter les lois et à voter l’impôt. À l’abri de cette fiction, les missionnaires concentrèrent dans leurs mains les pouvoirs politiques et exercèrent sur la population un empire absolu. Un grave incident vint cependant les troubler dans la jouissance de leur rapide conquête. Deux prêtres catholiques débarquèrent en 1827 à Honoloulou et comptèrent bientôt dans la classe inférieure de nombreux prosélytes. Les missionnaires protestans parurent oublier dans cette circonstance les principes que leurs coreligionnaires avaient tant de fois invoqués. Apôtres de la liberté religieuse, s’ils n’armèrent point eux-mêmes la persécution contre une église rivale, ils négligèrent d’arrêter le cours des plus odieuses violences, et laissèrent le pouvoir temporel devenir le champion d’une intolérante orthodoxie. Il fallut que le pavillon français intervînt dans cette querelle et que nos frégates se chargeassent d’obtenir pour les habitans des Sandwich le droit - qu’on leur contestait - d’adorer le Dieu des chrétiens selon le rite des États-Unis ou suivant celui de l’église française. Les missionnaires protestans avaient prédit qu’en brisant l’unité religieuse de la monarchie hawaiienne, on allait jeter dans ces îles paisibles le germe de graves désordres et de dangereuses commotions. L’événement ne justifia point leurs prophéties. Les Sandwich purent compter vingt-cinq mille catholiques,