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seconde fille du comte de Warwick, et il en eut plusieurs enfans. L’aîné était Henry, le seul de cette race qui dût illustrer son nom ; sa famille était pieuse et austère, séparée par des dissidences religieuses de l’église épiscopale ; et quoique son père ne fût rigide ni dans la foi ni dans les mœurs, on croit que son enfance fut soumise à la discipline prêcheuse des ministres puritains. Du moins dit-il quelque part qu’on l’obligeait, chez son aïeul, à lire jusqu’à la dernière page les commentaires d’un docteur Manton, qui se vantait d’avoir composé cent dix-neuf sermons sur le cent dix-neuvième psaume.

Eton est l’école de l’Angleterre qui ressemble le plus à nos collèges malgré de notables différences, et qui a produit le plus grand nombre d’hommes illustres dans la politique et dans les lettres. Deux élèves s’y faisaient remarquer à la fin du XVIIe siècle : Robert Walpole et Henry Saint-John ; l’un d’un esprit droit, solide, pénétrant, mais sans éclat et même sans facilité, et qui n’arrivait au succès que par le travail ; l’autre, d’une intelligence vive et brillante, dont le talent précoce se développait sans effort et se formait sans étude. Dès lors, tous deux se déplurent ; ils furent rivaux, destinés à demeurer tels et même quelque chose de plus pendant toute leur vie ; c’étaient, pendant toute leur vie, d’anciens ennemis de collège.

Celui qui devait un jour succomber dans la lutte semblait de beaucoup alors le plus richement partagé des dons qui présagent la fortune et aident à la renommée. Sa figure belle et prévenante, les grâces de sa personne et de ses manières, ajoutaient au charme d’un esprit vif et piquant, secondé par des facultés puissantes, et quand Saint-John entra à l’université d’Oxford par le collège de l’église du Christ, il y fit aussitôt admirer ses talens et prédire ses succès. Mais une certaine inquiétude se mêlait déjà aux espérances que donnait sa brillante jeunesse. Quoiqu’il ne négligeât pas d’orner et d’exercer son esprit, son penchant l’entraînait avec excès vers le plaisir, et sans scrupule comme sans choix, il s’abandonnait à toutes les passions dont la cour de Charles II avait laissé l’exemple à la jeune noblesse. Quoiqu’il possédât la littérature latine, sût très bien l’italien et le français, et qu’il prétende avoir toujours conservé le goût de l’étude, il ne parut, à peine entré dans le monde, connaître d’autre ambition que celle de tout dépasser par l’éclat de ses désordres : complaire aux ruineux caprices des plus fastueuses courtisanes, absorber sans trouble apparent des flots de vins précieux, c’est toute la réputation qu’il paraissait poursuivre, et rien n’indiquait encore à cette époque qu’il dût être autre chose qu’un libertin spirituel, ni laisser d’autre souvenir que celui de quelques bons mots improvisés dans l’ivresse. Cependant il faisait quelquefois des vers. On en a conservé qu’il écrivit