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voir auprès d’eux, dans le reste de l’Italie, où conduisent les excès révolutionnaires. Il est des états où on n’en a pas encore fini avec les souvenirs et les legs douloureux de ces tristes années qui sont derrière nous maintenant. Voici deux ans déjà que s’instruit à Florence un procès politique contre M. Guerrazzi et un certain nombre de personnes mêlées aux mouvemens révolutionnaires de 1848 et 1849. Ce procès vient de finir, et M. Guerrazzi notamment a été condamné à quinze ans de travaux. On ne nous soupçonnera point sans doute d’une grande sympathie pour les révolutionnaires ; mais enfin une telle condamnation, outre ce qu’elle a de rigoureux, ne vient-elle pas bien tard ? Nous ne citerons qu’une des anomalies de ce triste procès. Les faits imputés à M. Guerrazzi, comme ministre après la fuite du grand-duc en 1848, se sont passés sous l’empire d’un statut constitutionnel accordé par le grand-duc lui-même, et qui déférait au sénat le jugement des ministres mis en accusation. Aujourd’hui le statut a disparu et le sénat aussi, de sorte qu’à la rigueur il n’y aurait point de juges réguliers en ce moment pour M. Guerrazzi. Cela ne prouve qu’une chose, c’est qu’après ces périodes révolutionnaires, où il est difficile de faire exactement la part de tout le monde, il faut se hâter de couper court à ces répressions posthumes. Le mieux est d’empêcher le retour des révolutions par la sagesse, par une fermeté prudente et par la satisfaction de tous les besoins légitimes d’un pays.

Quand on considère le monde et le drame contemporain dans la variété de ses scènes et de ses incidens, l’Europe seule a-t-elle donc le privilège de ces agitations mystérieuses qui travaillent les races et les peuples, et les font marcher, par des voies inconnues, vers une destinée plus inconnue encore ? Non certes ; regardez à l’extrémité orientale de l’univers : là aussi l’empire réputé le plus stationnaire, le plus livré à l’immobilité, s’agite dans une crise singulière, et redoutable. La Chine elle-même a ses chocs de races, de dynasties, de civilisations, qui se résolvent dans une tentative de révolution jusqu’ici victorieuse. La question est de savoir aujourd’hui si la dernière heure de la domination tartare des Tsings va sonner, si la civilisation formaliste et corrompue des mandarins chinois sera définitivement vaincue dans cette lutte. Nous en disions un mot l’autre jour, et en ce moment même une nouvelle lumière est jetée par un livre curieux, — l’Insurrection en Chine, — sur ce mouvement bizarre, si compliqué, si confus, et trop peu suivi depuis son origine. Le dernier coup frappé par les insurgés chinois est la prise de Nankin, qui est fort probable, quoiqu’elle ait été mise en doute. Ainsi l’insurrection serait maîtresse de l’Athènes de l’empire du milieu, et il ne lui resterait plus qu’à marcher sur la capitale politique, sur Pékin.

Mais quelle est la nature, quels sont les moyens, les élémens, quelles sont les tendances de cette insurrection ? Le mérite du livre de MM. Yvan et Callery est de faire assister à ce drame étrange et original et même de le décomposer parfois d’une manière piquante. Ce n’est point, il s’en faut, un mouvement ordinaire et sans consistance, il remonte déjà à trois années et est allé toujours en grandissant jusqu’à la dernière victoire. son premier théâtre, habilement choisi, a été le Kouang-si, l’une des provinces chinoises les plus pauvres et les plus inaccessibles ; ses premiers soldats ont été recrutés dans les tribus insoumises des Miao-tze, rudes et intrépides peuplades des montagnes. Il s’est enveloppé d’abord d’un certain mystère ; on ne