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dans le christianisme. Il n’a oublié d’y joindre, — et ce n’est point, il est vrai, de son sujet, — que celle autre famille d’esprits qui abusent véritablement du christianisme ou plutôt qui se font un christianisme à eux, fils de leurs rêves et de leurs fantaisies étranges, aussi commode et aussi large que possible, assez large pour contenir tout ce que l’esprit révolutionnaire peut enfanter de folies lugubres. Ils ont imaginé une philosophie de l’histoire d’après laquelle Jésus-Christ est quelque peu l’ancêtre de Robespierre, et le christianisme n’est que le premier acte d’un drame dont la révolution française est le dénouement. Dans l’intervalle, naturellement, tout ce qui a eu le caractère d’une révolte ou d’une scission constitue la véritable tradition chrétienne. C’est une quintessence particulière qui a abouti souvent à de singuliers blasphèmes, sans compter tout ce que le bon sens a eu à souffrir en chemin ; le bon sens était aussi respecté que le christianisme dans ces travestissemens. Malheureusement pour lui, l’autour d’un livre récent sur les Réformateurs du XVIe siècle, M. Chauffour-Kestner, sans tomber dans cet excès, n’échappe point encore à cette triste influence. Vous aurez ici également la grande trilogie, le christianisme, la réforme, la révolution. Ce qu’il y a de plus bizarre, c’est que bien des inventeurs ou des sectateur de ces idées ont cru quelquefois qu’ils réagissaient contre le scepticisme irréligieux du XVIIIe siècle : ils ne faisaient que le reproduire sous une forme nouvelle, déclamatoire, amphigourique, touchant même au mysticisme assez souvent. On a pu voir ainsi fréquemment plus d’une page du Dictionnaire philosophique mal déguisée sous un lyrisme prétentieux et faux. Considérées au point de vue littéraire, certes les biographies que M. Chauffour retrace d’Ulrich de Hutten le pamphlétaire fit de Zwingli le réformateur de Zurich laisseraient encore beaucoup à désirer ; mais ce qui nous frappe, c’est l’esprit ; ce qui nous a souvent frappés, c’est cet amour singulier qu’on nourrit en France pour tous les hérésiarques, même quand on fait profession de ne point partager leurs doctrines. Cela touche de plus près qu’on ne pense à une des causes les plus sérieuses de nos grands désastres : c’est qu’en vérité nous aimons les résistances révolutionnaires, les oppositions qui vont jusqu’à la rupture, les réformes qui vont jusqu’à la destruction, si elles ne sont pas immédiatement satisfaites. Le radicalisme n’est ni dans nos goûts, ni dans nos mœurs peut-être : il est dans nos esprits. Nous ne connaissons pas cette opposition qui sait se soumettre au besoin et attendre, qui double sa force, par le respect de la loi, concilie le culte des traditions avec le progrès, préfère une victoire ajournée à un triomphe onéreux obtenu par la violence, et ne finit par résister ouvertement qu’après avoir épuisé toutes les voies pacifiques et régulières ; c’est ce qui fait que la liberté politique a été jusqu’ici parmi nous si incertaine et si peu durable, et qu’elle s’est fondée en Angleterre, où les oppositions ont toujours gardé dans le passé un certain caractère défensif et conservateur.

Il semble qu’il y ait certains peuples, certaines races qui se prêtent plus particulièrement à ce genre de résistance méthodique et calme qui n’est pas cependant moins forte. La Hollande est un de ces pays, et elle se personnifie à un certain moment dans Guillaume d’Orange, dont M. Eugène Mahon vient d’écrire l’histoire. Le héros de l’indépendance hollandaise, de la résistance des Pays-Bas à la domination espagnole, Guillaume le Taciturne, est certainement une des plus remarquables figures du XVIe siècle. Et à quoi est dû