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L’opuscule que Beaumarchais envoyait à l’amiral d’Estaing pour lui désopiler la rate était un ouvrage très sérieux qui allait également lui procurer de la gloire et des soucis. En échangeant des coups de canon, l’Angleterre et la France échangeaient ainsi des manifestes. La cour de Londres avait chargé la plume de l’historien Gibbon de dénoncer au monde entier la perfidie de la cour de Versailles. Oubliant sa propre histoire, remplie d’artifices diplomatiques du même genre et bien plus graves, le gouvernement anglais exagérait et torturait la très faible part que la cour de France avait prise aux secours expédiés aux Américains avant la rupture des deux gouvernemens. Beaumarchais, qui venait de figurer dans le débat à coups de canon, crut devoir intervenir dans la querelle à coups de plume. Il y était en quelque sorte autorisé, car le mémoire justificatif de la cour de Londres, en reprochant au ministère français d’avoir protégé une compagnie de commerce dirigée par Beaumarchais, attaquait ce dernier en personne et très vivement. En demandant au ministère la permission de répondre en son nom personnel, Beaumarchais écrit : « Si cela est sans conséquence de la part d’un homme privé, cela ne sera peut-être pas sans force sous la plume d’un homme piqué. » Il obtint cette permission, et en décembre 1779 il publia, sous le titre d’Observations sur le Mémoire justificatif de la cour de Londres, une brochure qui a été insérée dans la collection de ses œuvres, et dont par conséquent nous parlerons peu. Cette brochure, écrite avec la verve un peu inégale quant au ton, mais toujours animée, qui le distingue, fit une grande sensation. Il mettait à son tour en relief toutes les perfidies anciennes du gouvernement anglais, toutes les vexations qu’il avait fait subir à notre commerce depuis trois ans, la patience avec laquelle le gouvernement français les avait supportées, et comment, pour complaire à lord Stormont, il s’y était lui-même plus d’une fois associé. Malheureusement l’auteur, entraîné par la vivacité de sa plume, avait commis une erreur grave : en insistant sur les conditions humiliantes du traité imposé par l’Angleterre en 1763, à la suite de la guerre de sept ans, il avait accepté sans vérification une opinion généralement répandue, qu’il existait dans ce traité un article secret par lequel la France accordait honteusement à l’Angleterre le droit de limiter le nombre de ses vaisseaux, et, sous l’impression de ce fait qu’il croyait vrai, Beaumarchais avait écrit les lignes suivantes : « Mon courage renaissait en pensant que ma patrie serait vengée de l’abaissement auquel on l’avait soumise en fixant par le traité de 1763 le petit nombre de vaisseaux qu’on daignait encore lui souffrir. »

À la lecture de cette phrase, le duc de Choiseul et tous les anciens ministres de Louis XV qui avaient signé le fatal traité de 1763, et qui