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puissent être embarqués sans être arrêtés et retenus. La destinée de mon pays dépend en grande partie de l’arrivée de ces secours. Je ne puis donc être trop inquiet sur ce point, et il n’est pas de dangers ou de frais, si grands qu’ils soient, qui ne doivent être hasardés, si cela est nécessaire, pour un objet aussi capital et aussi important. Je vous prie de réfléchir mûrement là-dessus et de me communiquer vos réflexions. J’ai passé chez vous ce matin avec le docteur Bancroft dans l’intention d’en conférer avec vous, mais vous étiez parti pour Versailles. Permettez-moi d’appeler vivement voire attention sur ces derniers points, et de vous assurer que j’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect, monsieur, votre, etc.

« Silas Deane. »


Ces lettres suffisent, ce nous semble, pour préciser nettement la nature de l’opération et les engagemens très formels et très incontestables pris par l’agent du congrès. Nous avons dû entrer dans ces détails, parce que le résultat qui va suivre est des plus étranges. S’il était besoin d’une nouvelle preuve que ni Beaumarchais ni Silas Deane ne contractèrent à l’insu du ministre, je la trouverais encore dans ce passage d’une lettre de Silas Deane à M. de Vergennes, en date du 18 novembre 1776, qui constate que l’agent du congrès, tout en acceptant, comme il devait le faire, la position prise par le gouvernement, qui se déclarait complètement étranger à l’opération, n’en tient pas moins le ministre au courant de tout ce qui se passe entre lui et Beaumarchais.


« Je vous écris, dit Silas Deane à M. de Vergennes, à la suite de votre entrevue avec M. de Beaumarchais ce matin. Je voudrais avoir votre direction générale et votre avis sur cette délicate, critique et importante affaire, préalablement à toute application d’une manière plus publique. »


L’opération était en effet des plus difficiles, car il s’agissait d’un commerce prohibé officiellement, dont la prohibition était rigoureusement surveillée par l’ambassadeur d’Angleterre, et qui ne devait recevoir l’appui officieux du gouvernement français qu’à la condition que cet appui serait soigneusement caché. La moindre indiscrétion, le moindre embarras diplomatique occasionné par l’affaire allait transformer immédiatement l’appui du ministère en persécution. C’est dans ces conditions que l’auteur du Barbier de Séville devait faire extraire sans bruit, et par fractions, de divers arsenaux de l’état, 200 pièces de canon, des mortiers, des bombes, des boulets, 25,000 fusils, 200 milliers de poudre[1], faire fabriquer des effets d’habille-

    en général de mauvaise qualité. Il a pu y avoir sur ce point quelques négligences de détail qui s’expliquent par les obstacles dont l’opération était entourée ; mais pour l’ensemble l’accusation n’est pas fondée : je vois dans les papiers de Beaumarchais la preuve que les agens de l’Amérique inspectaient avec soin les cargaisons avant le départ.

  1. Il paraît que les Américains, à cette époque, manquaient de poudre ; les moyens