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ardemment et vainement de M. de Vergennes ces secours secrets, en joignant précisément à ses instances celles d’Arthur Lee, qui se déclarait prêt à venir à Paris, si le ministre le désirait. Les étranges amplifications du jeune Américain avaient naturellement fait sur le comité secret du congrès une impression profonde ; c’était la première nouvelle de ce genre qui arrivait en Amérique ; on en avait conclu qu’Arthur Lee était un très habile négociateur, et comme avant d’avoir reçu cette nouvelle, on avait déjà envoyé en France un agent particulier pour solliciter les mêmes secours qu’Arthur Lee assurait lui être promis, on se réserva d’adjoindre celui-ci au nouvel agent.

En attendant, Beaumarchais poursuivait ses instances auprès de M. de Vergennes, qui non-seulement n’avait rien promis, mais qui refusait toujours. Les chances de triomphe des colonies étaient encore trop incertaines pour qu’on s’exposât à une guerre avec l’Angleterre, guerre qui résulterait nécessairement d’une indiscrétion des Américains divulguant les secours donnés. Comment s’assurer de leur discrétion ? On a vu Beaumarchais proposer, dans ses mémoires au roi, divers moyens. Le plus sûr parut être de changer la physionomie de l’opération, de cacher aux insurgens eux-mêmes la source des secours qu’ils recevraient, et, au lieu de donner ces secours gratuitement, de subventionner en secret plusieurs[1] maisons de commerce qui enverraient aux Américains des fournitures, en leur accordant toute facilité pour des paiemens en nature. C’est dans ces conditions qu’une subvention fut concédée à Beaumarchais. Qui ne comprend en effet que, — lorsque le gouvernement français, suivant d’ailleurs l’exemple que lui avait donné si souvent l’Angleterre et dans la guerre de Corse et dans nos guerres civiles du XVIe siècle, se décidait à secourir les insurgens sous cette forme indirecte pour éviter la guerre, — il devait non-seulement permettre, mais il devait vouloir que les secours fournis ne le fussent pas à titre gratuit ? Cette gratuité eût manifestement dénoncé à l’Angleterre sa coopération. Ainsi Beaumarchais accepta de se faire le fournisseur direct des Américains avec une subvention secrète d’un million, sous la condition non pas d’accorder gratuitement ce million, et à plus forte raison une série indéfinie de millions qu’on ne lui donnait pas, mais d’accepter le mode de paiement qui conviendrait le mieux aux Américains, de braver en même temps les chances d’une entreprise qui offrait des difficultés et des dangers sans nombre, et dont cette première avance

  1. La lettre de M. de Vergennes au roi, citée plus haut, une lettre de Louis XVI au roi d’Espagne, publiée par M. de Hassan, et quelques autres documens trouvés dans les papiers de Beaumarchais me portent à penser que plusieurs maisons de commerce furent en effet subventionnées également dans la même intention.