Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il pouvait y avoir de l’embouchure du Saint-Laurent au lac Érié dix-huit cents soldats pour garder la colonie ; sur ce nombre, mille environ étaient disséminés dans les postes, et huit cents au plus tenaient garnison à Louisbourg, sur l’île du Cap-Breton. Cette place forte était la clé du Canada, qu’elle protégeait du côté de la mer ; de plus, elle couvrait la retraite des corsaires intrépides qui, en temps de guerre, ruinaient le commerce des colonies voisines. Les Anglais, au lieu d’attaquer leurs ennemis du côté de la terre, résolurent de détruire Louisbourg, dont la prise valait à leurs yeux les victoires qu’ils ne se flattaient pas de pouvoir remporter sur des miliciens difficiles à surprendre. Prompts à prendre l’offensive, les Canadiens se jetèrent tout d’abord sur l’Acadie ; ils ravagèrent la côte de Terre-Neuve, et la consternation se répandit dans le Massachusetts, quand Louisbourg n’était pas menacé encore. Une révolte, qui éclata parmi les soldats de la garnison, éveilla tout à coup l’ardeur belliqueuse des Anglo-Américains. Dans cette ville forte et facile à défendre, il ne régnait plus d’union ni de confiance entre les soldats et les officiers. Bientôt Louisbourg, assiégé par des forces considérables, tomba au pouvoir de l’ennemi. La nouvelle de cette catastrophe arriva en France au lendemain de la victoire de Fontenoy.

Les Canadiens consternés virent dans cet échec terrible le prélude d’une attaque sur Québec. M. de Beauharnais, qui commandait en Canada, demanda des secours que M. de Maurepas lui envoya sans délai. Trois mille hommes de troupes sont embarqués sur onze vaisseaux. La flotte, battue des vents, est dispersée sur la côte, une maladie contagieuse décime les matelots et les soldats, et en peu de semaines cette expédition formidable semble s’être évanouie comme un rêve. Ce désastre jeta dans l’âme des Canadiens un profond désespoir. Une seconde tempête fit échouer la tentative de débarquement que l’on voulut essayer avec les débris de l’escadre. Qu’étaient auprès de ces malheurs sérieux les succès multipliés, mais partiels, que les Canadiens remportaient sur les postes ennemis ? La France comptait alors d’intrépides et habiles marins, La Jonquière, L’Estanduère et d’autres ; cependant la marine, trop négligée par le cardinal Fleury, qui abhorrait la guerre, éprouva de si cruels revers, qu’après trois combats où nos marins avaient fait des prodiges de valeur, il ne nous restait plus que deux vaisseaux. Comment secourir des colonies quand on n’a plus de flottes ? Louis XV disait un grand mot vide de sens lorsqu’il s’écriait à propos du traité d’Aix-la-Chapelle : « .Je veux faire la paix non en marchand, mais en roi ! » On rendit le Cap-Breton à la France en échange de Madras, pris sur les Anglais par La Bourdonnaie, et des conquêtes faites en Flandre : mais on ne nous rendit point nos flottes détruites.