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réfugiés, à la haine qu’ils avaient semée autour d’eux contre la France, qu’on a dû de voir la Prusse marcher en tête de la coalition de 1792.

En suivant jusqu’à notre temps l’histoire de la descendance des réfugiés français en Prusse, on rencontre quelques-uns des noms les plus célèbres de l’Allemagne moderne. Par sa mère, M. de Humboldt appartient à la colonie française. Adalbert de Chamisso, que Hoffmann, le fantastique conteur, reconnaissait comme son maître ; Frédéric Ancillon, à qui l’on doit le Tableau des révolutions du Système politique de l’Europe, et qui fut longtemps ministre dirigeant du cabinet de Berlin ; Charles de Savigny, le restaurateur de la science du droit romain ; Michelet, l’un des représentans les plus distingués de l’école hégélienne ; La Motte-Fouqué, l’auteur du célèbre roman d’Ondine, sont tous les arrière-petits-fils de la France ; ils ont gardé dans leur patrie adoptive la vive empreinte du génie national de leurs ancêtres, la méthode, la clarté, la tendance aux applications pratiques, et l’on peut dire, sans exagération que l’Allemagne n’a point de savans ou d’écrivains plus populaires. Les travaux d’érudition de M. de Savigny, par exemple, ont créé en Prusse tout un système législatif et politique, système du reste complètement opposé à l’influence et aux idées françaises.

Les réfugiés de la Prusse ont gardé longtemps la constitution particulière et autonome qu’ils avaient adoptée au XVIIe siècle ; ils ont formé longtemps des communes distinctes, et ce n’est qu’en 1808 que leur organisation fut complètement modifiée. Une réaction violente centre la langue et la littérature françaises s’était opérée après la mort de Frédéric II ; les guerres de la révolution et de l’empire la rendirent plus vive encore. Le gouvernement prussien, après la bataille d’Iéna, proscrivit la langue des vainqueurs ; les réfugiés en grand nombre germanisèrent leur nom, et aujourd’hui ils sont pour la plupart complètement absorbés dans la population indigène.

Dès le premier moment de la révocation de l’édit de Nantes, la Hollande ne se montra pas moins empressée que la Prusse à profiter de la faute immense que venait de commettre le gouvernement de Louis XIV. Depuis longtemps déjà, ce pays était ouvert aux vaincus de tous les partis, aux proscrits de toutes les croyances. Il s’était ouvert, pendant la guerre de trente ans, pour les Allemands fuyant Wallenstein, pour les Anglais fuyant Marie Tudor, pour les Wallons, les Brabançons et les Flamands fuyant le duc d’Albe et le prince de Parme. Lorsque Henri III en 1583, publia l’édit de conversion, la Hollande recul de nombreux émigrans français ; elle en reçut encore un très grand nombre de 1668 à 1681, et elle les accueillit tous avec le plus vif empressement. Le prince d’Orange, qui déjà rêvait la couronne d’Angleterre, comprit toutes les ressources que lui offrait l’émigration militaire de la France : il fit voter par les états 180,000 florins affectés à la dépense des officiers, et pourvut avec une égale sollicitude à l’établissement des ouvriers et des commerçans. Le comte d’Avaux, ambassadeur en Hollande, en voyant le tort immense que l’émigration causait à la France, adressa des représentations fort justes à Louis XIV ; mais le monarque ne vit dans les rapports de son ambassadeur que les effets d’une imagination blessée. Dans la seule année 1686, soixante quinze mille nouveaux réfugiés vinrent s’établir dans les Provinces-Unies, et, comme la plupart d’entre eux parvenaient,