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« Je ne le verrai plus, se dit-elle. » Et tout à coup elle se jeta dans ses bras et couvrit de baisers ce front et ces yeux qui ne rougissaient plus de bonheur en la revoyant. Le chevalier se fût mésestimé, s’il n’eût pas oublié à l’instant tous ses projets de rupture ; mais sa maîtresse était trop profondément émue pour oublier sa jalousie. Peu d’instans après, Sénecé la regardait avec étonnement ; des larmes de rage tombaient rapidement sur ses joues. « Quoi ! disait-elle à demi-voix, je m’avilis jusqu’à lui parler de son changement ; je le lui reproche, moi qui m’étais juré de ne jamais m’en apercevoir ! Et ce n’est pas assez de bassesse, il faut encore que je cède à la passion que m’inspire cette charmante figure ! Ah ! vile, vile, vile princesse !… Il faut en finir. »

Elle essuya ses larmes et parut reprendre quelque tranquillité. — Chevalier, il faut en unir, lui dit-elle assez paisiblement. Vous paraissez souvent chez la comtesse… Ici elle pâlit extrêmement. — Si tu l’aimes, vas-y tous les jours, soit ; mais ne reviens plus ici… Elle s’arrêta comme malgré elle. Elle attendait un mot du chevalier ; ce mot ne fut point prononcé. Elle continua avec un petit mouvement convulsif et comme en serrant les dents : — Ce sera l’arrêt de ma mort et de la vôtre.

Cette menace décida l’âme incertaine du chevalier, qui jusque-là n’était qu’étonné de cette bourrasque imprévue après tant d’abandon. Il se mit à rire.

Une rougeur subite couvrit les joues de la princesse, qui devinrent écarlates. « La colère va la suffoquer, pensa le chevalier : elle va avoir un coup de sang. » Il s’avança pour délacer sa robe ; elle le repoussa avec une résolution et une force auxquelles il n’était pas accoutumé. Sénecé se rappela plus tard que, tandis qu’il essayait de la prendre dans ses bras, il l’avait entendue se parler à elle-même. Il se retira un peu : discrétion inutile, car elle semblait ne le plus voir. D’une voix basse et concentrée, elle se disait, comme si elle eût été à cent lieues de lui : « Il m’insulte, il me brave. Sans doute, à son âge et avec l’indiscrétion naturelle à son pays, il va raconter à l’Orsini toutes les indignités auxquelles je m’abaisse… Je ne suis pas sûre de moi ; je ne puis me répondre même de rester insensible devant cette tête charmante… » Ici il y eut un nouveau silence qui sembla fort ennuyeux au chevalier. La princesse se leva enfin en répétant d’un ton plus sombre : Il faut en finir.

Sénecé, à qui la réconciliation avait fait perdre l’idée d’une explication sérieuse, lui adressa deux ou trois mots plaisans sur une aventure dont on parlait beaucoup à Rome…

— Laissez-moi, chevalier, lui dit la princesse l’interrompant ; je ne me sens pas bien…