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préparer un dîner. Les lacs salés des environs nous fournissaient d’excellens poissons et des huîtres vertes. Nous garnissions royalement la broche. Il ne fallait qu’un cuisinier pour mettre à profit ces riches élémens. Bourrasque fut cet homme. Il était de première force, et nous avons gardé le souvenir de ses salades d’huîtres et de ses lièvres à la caccialore.

Pour la première fois depuis Ajaccio, nous rencontrions le comforlable, et ici dans des conditions nouvelles et meilleures, car on met un certain orgueil à fournir soi-même à ses besoins. D’ailleurs, pour des observateurs curieux, c’était une bonne fortune d’habiter cette maison. Il y avait dans cette grande caserne je ne sais combien de familles vivaient en commun, comme dans un phalanstère. Les paysans d’un petit village voisin perché sur la montagne viennent y passer leur quartier d’hiver. Toute cette population, fière et paresseuse, jouissant du beau climat de la plaine, répandue sur les terrasses et dans le jardin, se chauffait au soleil, chassait, fumait, jouait aux cartes. Les femmes et les filles s’occupaient des travaux du ménage.

Comme chez tous les peuples accoutumés au far niente, on rencontre ici chez les femmes l’énergie et l’activité qui manquent aux hommes. Les femmes corses ne reculent pas devant les plus rudes travaux. Nous avons vu à Calvi une belle jeune femme porter la malle d’un voyageur sur ses épaules, pendant que le mari, les bras ballans et la pipe à la bouche, l’accompagnait seigneurialement en causant avec l’étranger. Du reste, ces mœurs datent de loin, et comme nous avons cité Filippini en parlant des hommes, nous pouvons chercher dans Pierre de Corse le portrait de ces vaillantes créatures : « Vous les verriez, dit-il, lorsqu’elles vont à la fontaine, portant un vase sur la tête, la bride d’un cheval passée à leur bras, et la quenouille à la main [vas cavité continentes, equum, si eum habent, brachio trahentes, linumque nentes). Arrivées à la source, elles font boire le cheval, emplissent leur cruche d’eau, et reviennent à la maison par la même route, en tournant leur fuseau. Elles sont vertueuses et dorment peu. » Ne dirait-on pas une page détachée de la Bible ou de l’Odyssée ?

Quel quartier-général que ce Puzzichello pour des touristes chasseurs ! Nous tirions chaque jour quelques pièces de gibier pour entretenir le garde-manger. Le reste du temps, nous pêchions, nous prenions des bains, — un luxe rare en Corse, — et nous traquions les sangliers de concert avec nos camarades du phalanstère. On conçoit combien une chasse est facile à organiser au milieu de la famille armée qui habite cet établissement. Puzzichello est en outre le canton de la Corse où ce gibier est le plus abondant. On en lance quelquefois trois ou quatre dans le même fourré. On les chasse de la même façon que le cerf. La venaison se partage entre les chasseurs