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n’y apprendraient pas ce qu’ils se vantent d’avoir oublié pour se dispenser d’avouer qu’ils ne l’ont jamais su. Avec la meilleure volonté du monde, il me paraît difficile de découvrir dans les Études antiques de M. Ponsard quelque chose qui ressemble à une pensée personnelle, éclose de nos jours, ayant une date certaine. Les amis du poète auront beau répéter qu’il a retrouvé la naïveté homérique, c’est une flatterie qui ne mérite pas d’être discutée. Non-seulement en effet M. Ponsard, — malgré le secours de Mme Dacier, qu’il vante à bon droit, puisqu’elle rappelle souvent Homère plus heureusement que Dugas-Montbel, — interprète infidèlement les sentimens et les pensées de l’Odyssée, mais encore il resterait à établir la naïveté homérique, dont on fait tant de bruit. Si on entend par naïveté vérité, simplicité, Homère est à coup sûr un poète très naïf ; mais si l’on entend par naïveté rudesse primitive, l’erreur est manifeste et démontrée depuis longtemps. Quelle que soit l’opinion que l’on adopte sur l’origine des poèmes homériques, qu’on y voie, comme Wolf, un recueil de chants populaires réunis par une main habile sous la domination de Pisistrate, écrits par des auteurs inconnus, comme les romances espagnoles ou les ballades écossaises, ou qu’on y cherche l’œuvre puissante d’un esprit unique, peu importe. Ce qu’il y a de certain, c’est que les poèmes homériques appartiennent à une civilisation très avancée et ne portent pas l’empreinte des générations primitives. Mais passons, car cette distinction nous entraînerait trop loin. Des homéristes et les polyhoméristes accueilleront avec un égal étonnement les Études antiques de M. Ponsard. Je regrette, pour ma part, que l’auteur de Lucrèce et de Charlotte Corday, après avoir obtenu des applaudissemens très légitimes, ait compromis par cette tentative imprudente la réputation d’érudit que ses amis avaient bien voulu lui faire.

Les Poèmes antiques de M. Leconte de Lisle ont sans doute une autre importance ; mais toutes les âmes qui ne demandent à la poésie que l’émotion ne peuvent manquer d’accueillir avec défiance cet essai purement archéologique. J’ai démontré surabondamment que M. Leconte de Lisle n’a pas contenté les archéologues ; ses erreurs philologiques sur plusieurs points très élémentaires prouvent tout ce qu’il y a d’incomplet dans ses investigations. Quant à l’esprit même qui anime ses poèmes, je l’ai caractérisé assez nettement. Qu’il s’agisse d’Hélène ou de Niobé, du Centaure ou de Baghavat, il oublie constamment la date des personnages qu’il met en scène ; il met dans leur bouche des pensées toutes modernes, ou qui du moins ne sont que l’interprétation moderne des pensées antiques. Ce perpétuel anachronisme, trop facile à démontrer, diminue singuliè-