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leur a confiée autrefois : elles représentent un lit nuptial que la mort a rendu solitaire. D’un côté de cette couche est un groupe de pleureuses, de l’autre une figure qui doit être celle d’un funèbre génie tenant un flambeau renversé. Pendant une bien longue suite d’années, ce langage séculaire d’une joie et d’une douleur d’un jour n’a été recueilli par personne. Je crois que les Kabyles ont peu de souci des ruines ; toutefois ils ne les persécutent point : comme les liserons, ils se suspendent à leurs faites, l’ai vu accroupis sur une sorte d’aqueduc des pâtres long-vétus qui tantôt abaissaient leurs yeux vers leurs troupeaux, tantôt dirigeaient devant eux à travers l’espace leur regard aux muettes et insondables profondeurs.

Le ciel, qui, au camp de l’Oued-Agrioun, avait un moment revêtu sa plus éclatante parure, se couvrit à Ziama d’une effroyable obscurité, et une de ces pluies africaines dont j’ai parlé déjà nous emprisonna dans nos tentes. Je me rappelle sans déplaisir ces instans de captivité. Tandis que les eaux du ciel martelaient la toile qui me servait d’abri, je m’abandonnais à ces complets loisirs, malheureusement trop rares dans notre vie, où se trouvent réunis tous les repos. Je vis presque avec chagrin la renaissance du beau temps ; je me trouvais bien dans ma tombe ; j’aurais dit volontiers avec un personnage de Shakspeare : « Par pitié, ne m’étendez pas de nouveau sur la roue de la vie. »

Pourtant notre départ de Ziama fut marqué, pour moi, par un spectacle d’une vive et originale beauté : ce fut un lever du soleil au bord de la mer, dans les plus étranges conditions. Tandis que la nature de droite était toute chrétienne, celle de gauche était toute païenne. À droite, ce sont des montagnes ascétiques, des profils de granit, effilés, des élévations solitaires qui semblent attendre des demeures d’anachorète. Au-dessus d’une de ces hauteurs s’élevait en ligne directe, d’une correction inflexible, une étoile isolée qui rappelait l’hostie soulevée par un miracle au-dessus du calice. À gauche, c’est la Méditerranée qui regarde l’aurore de l’ancien monde, prête à jeter son sourire aux humains. On sent que l’aimable déesse est à demi sortie de la couche où dort son vieil époux. Comme des draperies qu’elle n’a pas fixées encore sur ses membres charmans, des voiles teints de roses, de safran et de pourpre flottent à l’horizon. Tout à fait au-dessus des flots, dans une région qu’envahit déjà la lumière, tremblent des étoiles prêtes à s’évanouir, qui ressemblent à des danseuses surprises dans une salle de fête par la clarté du jour. D’un côté je lis l’Évangile, et de l’autre je lis Homère.

Du reste, l’Afrique nous offre les beautés de toutes les contrées et de tous les livres. Ainsi le 11 juin nous traversons une forêt où auraient