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comme tous les appartemens mauresques, une pièce étroite et longue. Un rideau la séparait en deux parties. Derrière ce rideau, entrouvert au moment où j’entrai, était un lit large et carré, recouvert de tapis orientaux, qui ressemblait aux lits du moyen âge. Sur cette couche se tenait, tel que l’avaient fait déjà les approches de la mort, celui que j’allais visiter. Le général Bouscaren était enveloppé dans un caban rouge, à broderies d’or, souvenir de l’époque où il commandait ce régiment qu’il aimait comme le prince de Ligne aimait ses trabans, — le 3e spahis. Ses lèvres pressaient le bout d’une pipe turque, qui l’avait accompagné dans bien des expéditions. Son regard, qui était fixé droit devant lui, comme s’il eut aperçu déjà le but inconnu vers lequel allait se diriger son âme intrépide, s’anima d’un éclair de joie, lorsque je parus. Tous ceux que nous voyons arriver tout à coup à des heures suprêmes semblent avoir reçu une mission particulière de la Providence auprès de nous. « Soyez, le bienvenu, » me dit-il en me tendant la main, et je m’assis au pied de son lit. Je craignais la fatigue que causent aux blessés tous les épanchemens du cœur, et je désirais pourtant l’entendre parler. Je le laissai me raconter lui-même ce qu’on m’avait raconté la veille, la manière dont il avait été frappé, ses héroïques regrets en tombant au début de l’assaut, l’élan de religieux enthousiasme qui avait saisi la troupe à l’aspect de sa civière, le cri qui l’avait salué et la parole toute rayonnante d’un patriotisme ardent comme la poudre, sacré comme la mort et le sang, que cette acclamation lui avait arrachée. Il repassa dans sa mémoire tous les hommages qui depuis quelques jours s’adressaient à son lit de douleur comme à un trône, toutes les marques de chaude et vraie sympathie que chacun donnait à une carrière où la vertu militaire avait eu constamment un de ses plus purs, un de ses plus éclatans loyers ; puis d’une voix émue : « Je paierai bien peu, me dit-il, de pareilles joies en les payant de ma vie. »

Il avait parlé longtemps, il s’arrêta. Sa pipe était éteinte, il en demanda une autre et voulut me faire fumer aussi. Quand nous fûmes enveloppés tous deux dans la tiède fumée des chibouques, il se rappela son salon de Constantine, où souvent, j’étais allé deviser avec lui. Il reprit en souriant quelques-uns des propos qui nous étaient le plus familiers : il me nomma des gens que nous aimions et des lieux qui nous étaient chers. Il me fit un éloge passionné de cette Afrique où il allait mourir, cette terre, où il avait toujours suivi le drapeau de la France, était devenue pour lui une véritable patrie. Il l’aimait de toute la chaleur du sang qu’il y avait versé, « Si je dois rester en ce monde, » dit-il, — c’est le seul mouvement d’espoir que j’aie entrevu dans son esprit, — « je veux revoir les eaux de Mamescoutin. » Puis, comme s’il eût regretté ce fugitif élan de désir terrestre,