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qui séduisent dès le premier jour que ces qualités solides que le temps mûrit et perfectionne. Il ne donnait rien à l’éclat, au succès du moment ; il ne cherchait pas les journées brillantes, mais il était en toute occasion égal à lui-même, et chaque jour ajoutait à son influence et à sa réputation.

Guerroyer contre le pouvoir et la cour était un métier qui, mieux encore qu’aux tories, convenait a ceux des whigs que des convictions particulières ou des mécontentemens personnels avaient détachés. Dans un parti libéral, il y a toujours des radicaux. L’esprit franchement constitutionnel est sur la voie de l’esprit républicain. De la politique, les hommes défians, sévères ou satiriques, ne conçoivent que l’opposition. Enfin Walpole montrait, sous des formes modérées, une intolérance qui souffrait peu les amitiés douteuses, les opinions flottantes, et finissait par éloigner de lui tout ce qui ne s’enchaînait pas à lui. Il s’était donc formé une défection whig à la tête de laquelle brillait William Pulteney.

C’est une des fautes graves de Walpole que sa conduite à l’égard de Pulteney. Rien n’atteste mieux cette jalousie du pouvoir qui lui fit parfois oublier justice et prudence, et le rendit moins généreux envers ses émules qu’envers ses ennemis. Sous la reine Anne et au commencement du règne, Pulteney s’était conduit comme Walpole. Il l’avait défendu contre l’accusation de 1711 ; il s’était avec lui séparé, en 1717, de lord Sunderland. Cependant Walpole, revenu au pouvoir, avait cru s’acquitter en lui donnant le titre de caissier de la maison du roi, sinécure lucrative dont Pulteney s’était d’abord contenté, car il était intéressé malgré son immense fortune : c’était son plus grand défaut, et il nuisit à son ambition. Par sa naissance, par sa position, par son caractère, Pulteney semblait appelé à jouer dans le gouvernement le rôle dont ses moyens le rendaient digne. Son esprit était vif, élégant, orné, son éloquence facile et populaire, prodigue de traits acérés et piquans, toujours prompte, toujours vive à l’attaque et à la riposte. C’était un éminent talent d’opposition. Il portait alors ce titre de grand commoner qu’on avait un moment donné à Walpole, et qui allait bientôt passer à William Pitt. Fidèle aux principes généraux de son parti, il ne montrait pas dans ses opinions de détail une grande rigidité, ni pour combattre, un grand scrupule dans le choix des armes. Il était aimé cependant, parce qu’il savait plaire au parlement et au public. À son intelligence vive et pénétrante il manquait une certaine solidité de jugement. Adroit, hardi, mais léger, il n’avait pas la suite et la fermeté qui caractérisent l’homme fait pour gouverner. Il aimait plus le combat que le succès, et le succès que le pouvoir. Walpole aurait pu, s’il eût voulu s’en donner la peine, dominer un tel personnage et le placer au premier