Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/1123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait peu de nuances, et de certaines délicatesses lui étaient inconnues. Comme on le jugeait à Londres plus sévèrement qu’il ne méritait, on avait, du temps même qu’il était ministre de la cour de Saint-Germain, autorisé lord Stair à traiter avec lui. Ce dernier, qui le connaissait mieux, attendit sa disgrâce pour lui envoyer Saladin de Genève. Il s’ensuivit une entrevue où Bolingbroke déclara à l’ambassadeur qu’il se croyait obligé en honneur et en conscience de désabuser ses amis d’Angleterre sur la conduite du parti jacobite à l’étranger, et sur la valeur de tous ceux qui le composaient ; que, dût-il demeurer à jamais en exil, il n’aurait plus rien de commun avec le prétendant ; que si sa position dans sa patrie lui était rendue, il pourrait, en expliquant sa conduite, porter à la cause des Stuarts un coup mortel, et contribuer ainsi à mieux affermir l’autorité du roi et à lui rallier tous ses sujets. Il ajouta qu’il était prêt à rendre à son gouvernement tous les services, excepté ceux d’un délateur, et qu’il espérait que l’on croirait ses protestations sincères, sans exiger des gages qu’il refuserait de donner, ni risquer, en lui demandant trop, d’empêcher l’effet de ses promesses. Ces offres, dont lord Stair admit pleinement la sincérité, furent transmises à Londres, et même renouvelées au secrétaire d’état Craggs, qui vint peu après en France ; et comme pour préparer le retour du fils dans son pays, le roi créa le père, qui vivait encore, vicomte Saint-John et baron de Battersea. En même temps Bolingbroke constata sa situation nouvelle en écrivant une longue lettre à sir William Wyndham, qu’il data du 13 septembre 1716, et qu’il envoya non-cachetée au maître général des postes, pour la mettre sous les yeux du gouvernement et la faire arriver ensuite à sa destination. Cette lettre, que M. Hallam regarde comme son ouvrage le plus achevé, est une apologie générale de sa conduite, qu’il faut lire avec défiance, mais d’où nous avons tiré bien des détails de notre récit. Quand elle parut, en 1753, et que Favier la traduisit sous le titre de Mémoires secrets de milord Bolingbroke, Voltaire trouva l’ouvrage peu digne de l’auteur qui n’était plus, et se plaignit de n’y rien apprendre. C’est qu’il savait assez bien cette partie de l’histoire contemporaine. L’ouvrage, en tout cas, offrait une peinture sérieusement satirique et malheureusement vraisemblable du prétendant et de son parti. Quoiqu’il ne dût pas être imprimé, il était fait pour être lu, et bien calculé pour nuire aux Stuarts et rendre Bolingbroke agréable au roi régnant. George le fit assurer de sa bienveillance, et le proscrit, plus confiant dans l’avenir, s’occupa de se créer une philosophie de l’exil au moment où il croyait entrevoir le terme du sien. L’ouvrage qu’il a intitulé Réflexions sur l’exil est une consolation philosophique, où il emprunte beaucoup à Sénèque et aux anciens. Ce lieu commun de morale stoïcienne est d’un esprit élevé,