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Là-dessus elle est entrée dans une peinture qui m’a paru préparée de l’état présent des affaires ; elle est convenue qu’avec l’âge et la santé de Harry (Louis XIV), on ne pouvait compter sur aucune résolution vigoureuse ; mais elle a ajouté que le neveu de Harry, lorsqu’une fois sa 29 (régence) serait consolidée, serait indubitablement disposé à concourir à une si grande entreprise, et qu’elle ne voyait pas pourquoi un mariage entre vous et une de ses filles ne pourrait pas devenir pour lui un motif additionnel de détermination et un lien d’union entre vous. J’ai pris la chose en plaisantant et comme une saillie de son imagination ; mais il doit y avoir quelque chose de plus, à raison de son caractère, de son intimité avec… (des chiffres), et du commerce particulier, mais étroit, que je sais qu’elle conserve avec un de ses confidens[1], et de son influence sur cet homme. » Bolingbroke termine sa lettre en conseillant de ne pas repousser cette ouverture, quoiqu’il avoue qu’une telle union pourrait déplaire en France et en Angleterre.

Il fallait en effet ménager l’Angleterre, qui commençait à s’agiter. Des réunions de non-conformistes avaient été troublées par le peuple. Quand Oxford s’était défendu dans la chambre haute, des rassemblemens avaient proféré le cri : « Haute église, Oxford et Ormond pour toujours ! » On n’avait pas conduit l’accusé à la Tour sans émouvoir la Cité. Des désordres éclataient dans divers comtés ; c’en était assez pour exalter les jacobites, et ils envoyèrent en France le plan tant annoncé par le duc d’Ormond ; ils demandaient un corps de troupes réglées, ou tout au moins des armes pour vingt mille hommes, de l’artillerie, cinq cents officiers et de l’argent. Par les soins de Bolingbroke, le projet fut aussitôt mis sous les yeux du roi. Il ne pouvait être question de fournir des troupes, mais on fit espérer le reste. Un bâtiment fut, aux frais de l’état disposé par un armateur pour le prétendant. Bolingbroke pensait que ces premiers secours en amèneraient d’autres, qu’ils suffiraient pour compromettre la France, que la défiance et l’irritabilité d’un gouvernement whig feraient le reste, et il accueillait une vague espérance de voir la paix d’Utrecht foulée aux pieds et une révolution opérée dans sa patrie par la main de l’étranger ; mais deux événemens vinrent dissiper ces belles illusions. Un moine, qui se disait envoyé par Ormond, vint de sa part réclamer un débarquement immédiat en Angleterre. Accueilli avec empressement à Bar, il parut à Paris suspect à Bolingbroke, qui le força de confesser qu’il était sans mission, et tout à coup on apprit qu’Ormond venait d’arriver. Nous nous rappelons qu’après avoir fait une assez grande figure, il vit Oxford en prison et prit la fuite. Tous les

  1. Un des confidens du duc d’Orléans, probablement l’abbé Dubois.