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se mêlent peu aux étrangèrs, quoique les négocians européens épousent souvent des Mexicaines ; qu’ils acceptent avec empressement les invitations qu’on leur fait, sans être très empressés de les rendre. Ce que je sais, c’est que M. Levasseur m’a mis en relations avec des hommes fort distingués et fort aimables. J’aurai l’occasion de parler bientôt de M. Ramirez et de M. Lacunza. J’ai vu aussi chez notre ministre M. Carpio, sénateur et, ce qui vaut mieux, poète mexicain, qui a chanté le Mexique, dont les vers ont de l’élévation, de l’ampleur et cette majestueuse harmonie de la poésie espagnole qu’on ne saurait égaler dans aucune langue vivante. M. Olagibel, avocat distingué et membre de la chambre des représentons, a été pour moi d’une obligeance rare. Sa bibliothèque, qui serait remarquable partout et où se trouvaient deux Murillos, a été mise par lui à ma disposition de la manière la plus complète ; j’étais même autorisé à m’y établir et à y travailler en son absence. Entouré de livres sur le pays, des meilleures éditions des classiques anciens et de tous les chefs-d’œuvre des littératures modernes, je me sentais à la fois au Mexique et en Europe. Il en était de même durant mes agréables et instructives conversations avec M. Olagibel. Tout le monde n’est pas aussi européen à Mexico. Un homme instruit du reste et très considéré m’a demandé un jour si le vin de Champagne ne venait pas de la campagne de Rome.

Les femmes mènent une vie tout orientale ; la promenade, le bain, la sieste, l’amour, occupent leurs momens. Le luxe est poussé ici très loin ; la façon d’une robe coûte, m’assure-t-on, de 200 à 250 fr. Il est vrai que tout est très cher à Mexico. Si les Mexicaines sont en général peu cultivées, je ne m’en étonne pas après avoir vu une maison d’éducation, tenue au reste d’une manière remarquable en tout ce qui ne concerne point l’instruction des jeunes personnes. Cet établissement, situé dans une espèce de palais, porte le nom de Saint-Ignace. Je l’ai visité avec. M. Lacunza, l’un de ces hommes distingués dont je parlais tout à l’heure, qu’on est étonné de trouver dans un pays si mal gouverné. L’établissement renferme cent cinquante jeunes filles et femmes de tout âge, on y entre à neuf ans, et on peut y finir ses jours. Les habitantes du lieu sont divisées en groupes de huit personnes ayant leur ménage à part et un dortoir commun. Les lits m’ont paru d’une assez grande élégance. Chaque groupe vit sous la direction d’une nana, présidente nommée par la rectrice [rectora), qui elle-même est nommée par la junta. C’est ce qu’on appelle en anglais le board et en français le comité. La junta se compose de deux représentans des provinces basques et de quatre représentans du Mexique. Nommés primitivement par leurs concitoyens, ils ont depuis ce temps désigné leurs successeurs, ce qui n’est, pour des raisons