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Ce n’est pas qu’on ne trouve encore quelques tableaux ou dessins dont les auteurs ont violé sans aucun scrupule toutes ces règles mathématiques. C’est surtout dans le raccourci des membres du corps vus de face ou de profil, ou entre les deux positions, que se commettent les plus grandes fautes contre la perspective. L’histoire de la peinture cite le Corrège comme un des plus habiles, des plus heureux et des plus hardis metteurs en œuvre des ressources de la perspective pour grouper et faire fuir des figures représentées dans des poses exceptionnelles.

Le présent sujet n’est-il pas un peu trop sérieux pour permettre de citer une requête de Piron à « MM. les dessinateurs, graveurs, peintres, décorateurs, etc. ? » Il les supplie très humblement, quand un bœuf et un mouton sont tout près l’un de l’autre, de vouloir bien faire le mouton plus petit que le bœuf, et de même, quand un coq est dans une basse cour, d’avoir la charité de ne pas faire la tête du coq dépassant le faite de la maison, de ne pas faire des oiseaux arrivant à leur nid dix ou douze fois plus gros que le nid qui doit les recevoir, enfin mille autres prescriptions du sens commun oubliées par les artistes presque autant que par les autres hommes.

Tout le monde connaît ces cadres garnis de fils tendus de droite à gauche et de haut en bas, et formant comme un treillis de carreaux à jour, au travers desquels les artistes regardent quelquefois les paysages, les groupes ou les modèles, mais surtout les objets compliqués qu’ils veulent reproduire. Le tableau étant divisé en autant de compartimens que le cadre placé entre l’artiste et les objets qu’il veut dessiner, la place et la grandeur relative de tous ces objets se trouvent marquées d’avance et ne laissent rien à faire à l’estime souvent trompeuse des sens.

Rien encore de mieux que les épreuves photographiques pour la perspective rigoureuse, du moins quand le tableau est à une distance suffisante ; et puisque l’occasion s’en présente, je dirai à tous ceux qui font poser un être humain pour le photographier sur plaque daguerrienne, sur papier, sur verre gélatine, collodionné ou autrement, que leur usage général de mettre le nez du modèle en saillie, la recommandation qu’ils font à celui-ci de regarder la boite de l’instrument, produisent naturellement une proximité plus grande du nez, et par suite une exagération peu agréable de ses dimensions. Un honnête bourgeois, pourvu du reste d’un nez très proéminent, d’un front bas, de joues minces et fuyantes, semble, suivant l’expression d’un auteur ancien, n’être que l’accessoire de son nez.

Les personnes qui peignent le paysage se servent quelquefois de grosses boules de verre étamées en dedans au mercure et au bismuth, comme ces espèces de grosses perles représentant des fruits mêlés aux fleurs artificielles des bouquets qui se vendent devant l’église de Saint-Etienne-du-Mont, aux jours de la fête de Sainte-Geneviève. Les maisons, les arbres, les nuages, le bleu du ciel s’y mirent et s’y reflètent en petit de manière à désespérer l’art le plus raffiné. Quand assis auprès d’un pareil globe, à une fenêtre donnant sur un des boulevards de Paris ou sur le tournant d’une grande rue bien fréquentée, on contemple le tableau mobile et fidèle de cette foule active d’hommes, de voitures, de chevaux qui s’y peignent aussi fidèlement que passagèrement, on a peine à détacher les yeux de ce tableau animé qui participe