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tel était alors en France le respect de la nation pour son roi, que beaucoup de protestans zélés, longtemps inébranlables dans leur croyance, se firent scrupule de résister à la volonté du souverain dès qu’il l’eut manifestée. « Plusieurs personnes, dit Fontaine, qui avaient supporté sans broncher les épreuves de la persécution et qui s’étaient laissé dépouiller de tous leurs biens sans succomber à la tentation, y cédèrent à la fin, vaincues par les argumens de faux amis qui leur représentaient que Dieu commande d’honorer les rois et de leur obéir, si bien que c’était manquer à son devoir envers le Seigneur que de refuser obéissance aux décrets monstrueux du roi. C’est ainsi qu’ils devinrent d’idolâtres renégats, et se mirent à adorer ce qu’ils savaient n’être qu’un morceau de pain. »

Parmi cette loyauté et cette timidité générales, Fontaine courait le pays armé jusqu’aux dents et déguisé, prêchant dans les solitudes, gourmandant les indécis, échauffant les braves, et mourant d’envie de rencontrer au coin d’un bois quelques-uns de ces soldats qui faisaient l’œuvre du démon en Saintonge. À sa confiance dans le Seigneur, Fontaine joignait, comme Cromwell l’exigeait de ses soldats, quelques précautions temporelles. Il était excellent cavalier : il montait un barbe fin coureur, et dès son enfance il s’était exercé à abattre un blanc en tirant au galop ; enfin il connaissait tous les bois, tous les sentiers de la province. « Je savais bien, dit-il, que pas un seul des dragons ne pourrait m’atteindre à la course, et j’étais décidé, s’ils me poursuivaient, à fuir en Parthe. J’aurais attendu que le mieux monté eût dépassé ses camarades pour me retourner et lui casser la tête ; puis, piquant des deux, j’aurais rechargé pour en faire de même à un autre. » D’après quelques expressions obscures, peut-être à dessein, je serais porté à croire que cette manœuvre ou quelque autre semblable n’aurait pas été inutile au digne ecclésiastique, et il adresse des louanges au Seigneur pour certaines grâces occultes qu’il en aurait reçues, lesquelles peut-être ont coûté cher aux dragons de Louis le Grand.

Mais avec un barbe et une paire de pistolets on ne fait pas une révolution ni même une révolte. Bientôt, n’ayant plus d’autre ressource que la fuite, il fit marché avec un capitaine anglais qui, pour cent francs par tête, transportait dans son pays les protestans qui voulaient émigrer. De par le roi, la fuite était interdite à ces malheureux, et tandis que les dragons les traquaient dans les bois, des vaisseaux croisaient le long des côtes pour arrêter les fugitifs. Fontaine décrit avec une certaine verve les péripéties de cet embarquement hasardeux. Neuf femmes et deux hommes s’étaient jetés avec lui dans une petite barque qui devait accoster le vaisseau anglais à quelque distance au large. Pour que leur manœuvre ne parut pas suspecte à une frégate française qui croisait le long de la côte, ils passèrent