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nous sommes dupes : mais on prenant, le parti de fausser sa parole, de manquer à la foi promise, il est aisé de tromper tout le monde. Ce qu’il y a de pire, ce qui me met dans le plus grand embarras, c’est l’état des choses en ce pays, car l’aveuglement de cette nation est incroyable. Bien que l’affaire ne soit pas encore publique, le bruit ne s’est pas plus tôt répandu que le testament du roi d’Espagne était en faveur du duc d’Anjou, qu’on a commencé à dire généralement que, dans l’intérêt de l’Angleterre, l’acceptation de ce testament par la France était préférable à l’accomplissement du traité de partage… Pour moi, j’ai la ferme persuasion que, si le testament est exécuté, l’Angleterre et la république, sont dans le plus grand danger d’être totalement perdues ou ruinées. »


Dans la suite de cette lettre, Guillaume exprime un vif regret de se voir, par l’effet de la mauvaise disposition des esprits, dans l’impossibilité d’agir avec vigueur et de donner l’exemple aux autres puissances ; il espère que les Provinces-Unies s’en chargeront, et il promet de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour amener peu à peu le peuple anglais à une politique mieux entendue. Il se demande s’il vaut mieux que l’Autriche accède enfin au traité de partage ou réclame tout l’héritage de Charles II. Suivant lui, ce que l’empereur a de mieux à faire en ce moment, c’est d’envahir sur-le-champ le Milanais et de travailler à soulever les Deux-Siciles. Quant aux Pays-Bas, Guillaume s’en montre assez inquiet, parce qu’il pense que l’électeur de Bavière, qui en a le gouvernement, se soumettra aux ordres qui lui arriveront de Madrid ; les troupes hollandaises, qui y tiennent garnison dans plusieurs places, devront donc être sur leurs gardes. En résumé, il conseille les mesures vigoureuses, tout en reconnaissant qu’il est assez mal placé pour demander aux autres une initiative énergique qu’il ne peut pas prendre lui-même.

Cette lettre, qui peint si naïvement les premières dispositions du roi d’Angleterre et la position singulière où il se trouvait, termine le recueil qui sert de base principale à notre travail. Je regrette que l’éditeur n’ait pas eu la pensée ou la possibilité d’y joindre des documens postérieurs qui nous auraient conduits jusqu’à la conclusion de la grande alliance formée contre la France. Une année entière devait s’écouler encore avant que les puissances se décidassent à prendre les armes. L’irritation était grande pourtant dans les cabinets, qui, en voyant la France et l’Espagne réunies sous l’autorité de Louis XIV, se croyaient plus que jamais menacés de la monarchie universelle ; elle était d’autant plus grande qu’on supposait généralement que le testament de Charles II avait été inspiré par les artificieuses manœuvres du gouvernement français, et qu’en négociant avec l’Angleterre et les Provinces-Unies les traités de partage, on n’avait eu d’autre but que de les endormir dans une trompeuse sécurité, de les empêcher