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comparativement très rares aujourd’hui. Dans les premiers mois de l’établissement du télégraphe de Douvres à Londres, une locomotive se détacha d’un convoi et se mit à courir, dans la direction de la capitale, avec la vitesse que donne une force aveugle. Quel moyen d’éviter tous les malheurs et les dégâts de cette locomotive si l’on n’avait pu être prévenu sur toute la ligne ? C’est ce qu’on fit par le télégraphe électrique. Des obstacles élastiques furent disposés en avant de l’embarcadère de Londres pour atténuer autant que possible le choc de cette masse lancée avec une vitesse désastreuse. Mais il y a mieux. À une station déjà assez éloignée de Londres, deux intrépides mécaniciens chauffèrent à toute vapeur une locomotive déjà prête au service. Quand la locomotive échappée passa devant eux avec la rapidité d’un cheval de course, ils se précipitèrent sur ses traces avec la rapidité du vol de l’hirondelle, qui est trois ou quatre fois plus grande. Je tiens de personnes bien informées que, dans cette course périlleuse, le choc de l’air ne permettait point à ces deux hommes de se tenir debout. La machine fugitive, suivant l’expression d’un des narrateurs, fut gagnée de vitesse, puis accostée, puis enfin un des mécaniciens passa dessus, et, saisissant les manivelles, la maîtrisa aussi facilement qu’un écuyer maîtrise un cheval bien dressé. Le génie britannique a calculé que les dégâts que la locomotive aurait causés à l’embarcadère (accident arrivé déjà plusieurs fois) surpassaient la valeur du prix de toute la ligne électrique ; mais on ne dit rien des dangers que les hommes auraient courus par suite de ce train spécial d’une si dangereuse espèce ! Dans le dernier voyage de l’empereur des Français, des trains extraordinaires partaient à toute heure sans le moindre inconvénient : il n’y eut pas même l’ombre d’une crainte. Quand la malle des Indes débarque à Marseille, elle est à l’instant livrée à une locomotive dont le service est exclusif ; elle arrive à Avignon et mule de là jusqu’à Châlons-sur-Saône, où elle reprend tout de suite un train spécial pour arriver sans retard à Paris, à Calais, et enfin à Londres. Comment, sans le télégraphe électrique, faire déblayer la voie et éviter de funestes rencontres ? Disons encore que M. Bréguet a garni un grand nombre de convois d’appareils électriques mobiles, en sorte que partout où l’on s’arrête, de gré ou de force, on correspond avec les deux stations entre lesquelles on se trouve. Il y a très peu de jours, un convoi, sur la route d’Orléans à Paris, n’a pu continuer sa marche, par suite d’un essieu brisé. Un secours a été demandé et obtenu, par l’appareil mobile de M. Bréguet, tellement qu’on s’est à peine aperçu du retard éprouvé. Ajoutons que cette facilité d’appeler du renfort a permis de diminuer considérablement le nombre des locomotives qu’on était obligé de tenir en relais pour parer aux accidens, et qu’ainsi il en est résulté économie comme sûreté. Les gens qui ne sont contens de rien critiquent la télégraphie électrique en ce qu’elle est impuissante à transporter sur ses fils un papier pesant seulement un gramme. Ils lui doivent peut-être la vie, parce qu’elle aura prévenu une catastrophe qui leur eût été fatale ! En un mot, le plus beau titre d’honneur de la télégraphie électrique est la sûreté des voyageurs sur les chemins de fer, sûreté pour laquelle elle a plus fait que tous les règlemens imposés aux employés, et dont cent fois le hasard déjouait la prévoyance.


BABINET, de l’Institut.