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de savoir quels pouvaient être le caractère et l’histoire de l’étrangère qu’ils avaient reçue dans leur demeure.

« Marie vit le batelier quitter la maison ; alors, tournant ses yeux pleins de tristesse vers son hôtesse, elle essaya de se lever dans l’intention de partir et d’aller… elle ne savait où.

« — Eh bien ! eh bien ! qui que tu sois, tu ne partiras pas, car tu n’es pas capable de sortir dans la rue. Peut-être, dit-elle en baissant un peu la voix, es-tu une pauvre créature dégradée ? Je me défie presque de toi, tu es si jolie ! Mais bah ! bah ! ce sont les mauvais qui ont le cœur brisé, cela est trop sûr : les bons ne sont jamais complètement abattus, parce qu’ils ont toujours mis leur espoir dans le Seigneur ; ce sont les pécheurs qui accumulent les plus amers chagrins dans leurs cœurs en ruines, les pauvres âmes, et c’est pour cela que ce sont eux que nous devons le plus plaindre et secourir. Elle ne sortira pas de la maison cette nuit, qu’elle soit ce qu’elle voudra, et quand bien même elle serait la pire femme de Liverpool, elle ne sortira pas. J’aurais voulu seulement savoir où le vieux l’avait dénichée, et c’est tout.

« Marie avait prêté L’oreille à ce soliloque, et essaya de satisfaire la curiosité de son hôtesse ; elle lui dit avec des phrases hachées, prononcées d’une voix faible :

« — Je ne suis pas une mauvaise créature, madame. Votre mari m’a conduite sur la mer à la poursuite d’un vaisseau qui avait mis à la voile. Il y a dans ce vaisseau un homme qui peut sauver la vie d’un innocent dans une affaire criminelle qui doit être jugée demain. Le capitaine n’a pas voulu le laisser venir, mais il dit qu’il viendra dans le bateau du pilote. — Elle se mit à sangloter à la pensée de ses espérances épanouies, et la vieille essaya de la consoler en commençant, selon sa coutume, par un : — Bien ! bien ! il viendra, j’en suis sure ; je sais qu’il viendra. Ainsi rassurez-vous, ne vous tourmentez pas plus longtemps de cela, il reviendra certainement. — oh ! je crains, je crains qu’il ne revienne pas, cria Marie, consolée néanmoins par les assertions, quoique peu fondées qu’elles fussent, de la vieille femme. »


N’est-ce pas là un tableau complet, une vive peinture de ce que nous appelions tout à l’heure la charité des pauvres et la bienfaisance des malheureux ? Nous citerons encore un très court épisode, dans lequel Mary Barton est cette fois le personnage bienfaisant. C’est au milieu des angoisses les plus mortelles qu’elle accomplit cet acte de charité avec l’irrésistible sympathie que tous les malheureux ressentent pour leurs semblables.

« Et Marie sortit de la maison et traversa les rues encombrées, affairées, où déjà des crieurs publics vendaient au prix d’un demi-penny de grands placards contenant le récit du terrible meurtre, l’enquête du coroner, et illustrés d’un grossier portrait du prévenu Jem Wilson.

« Mais Marie ne fit pas attention et n’entendit pas. Elle chancelait comme en proie à un cauchemar. La tête basse et la démarche incertaine, elle choisit instinctivement le chemin le plus court pour arriver à cette demeure qui