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nos habitudes, que de trouver à chaque carrefour et à l’angle des chemins une borne obscène ? Et pourtant cela choquait si peu les anciens, que nous voyons Hipparque foire graver sur les Hermès des sentences morales pour l’édification des passans.

Il en faut dire aillant du ridicule, qui avait une si large part dans la religion ancienne. Les religions devant représenter de la manière la plus complète toutes les faces de la nature humaine, et le burlesque étant une des faces de la vie, le burlesque est un élément essentiel de toutes les religions. Voyez les époques et les pays religieux par excellence, le moyen âge, l’Italie : quelle irrévérence ! quel déluge de plaisanteries, de fabliaux, sur la Vierge, les saints. Dieu lui-même ! Ceux qui ont vu de près le culte italien savent combien est indécise la limite qui y sépare le sérieux du comique, et par quelle transition insensible la dévotion y confine à la plaisanterie. Nous nous étonnons de voir sur les monumens de la grave Étrurie les scènes les plus respectables tournées en caricature : nous ne comprenons pas comment le peuple qui condamnait Socrate pour un soupçon d’impiété laissait Aristophane donner les étrivières à Bacchus sur la scène, et transformer Hercule en marmiton. Les peuples méridionaux, plus familiers avec leurs dieux que les peuples réfléchis du Nord, éprouvent de temps en temps le besoin de rire et de plaisanter avec eux. Le sans-gêne des Napolitains envers saint Janvier n’a rien qui doive nous surprendre : il y a dix-huit cents ans, les gens de Pompeï, quand ils voulaient obtenir quelque chose de leurs dieux, stipulaient les conditions par écrit, et, pour plus d’efficacité, les menaçaient de coups de bâton.

Le monothéisme est devenu un élément si essentiel de notre constitution intellectuelle, que tous nos efforts pour comprendre le polythéisme de l’antiquité seraient à peu près inutiles. Arrivé à un certain degré de son développement, l’esprit humain devient nécessairement monothéiste ; mais il s’en faut que cette conception de la divinité se retrouve également au berceau de toutes les races. Il y a des rares monothéistes et des races polythéistes, et cette différence tient à une diversité originelle dans la manière d’envisager la nature. Dans la conception arabe ou sémitique, la nature ne vit pas. Le désert est monothéiste. Sublime dans son immense uniformité, il révéla dès le premier jour la pensée de l’infini, mais non ce sentiment de vie exubérante qu’une nature incessamment créatrice a inspiré aux races filles de l’Indus et du Gange. Voilà pourquoi l’Arabie a toujours été le boulevard ou monothéisme, voilà pourquoi la nature ne joue aucun rôle dans les religions sémitiques : elles sont toutes de la tête, toutes métaphysiques et psychologiques. L’extrême simplicité de l’esprit sémitique, sans étendue, sans diversité, sans arts plastiques, sans philosophie, sans mythologie, sans vie politique, sans progrès, n’a pas d’autre cause : il n’y a pas de variété dans le monothéisme. Inclusivement frappés de l’unité de gouvernement qui éclate dans le monde, les sémites n’ont vu dans le développement des choses que l’accomplissement infaillible de la volonté d’un être supérieur. Dieu est, Dieu a fait le ciel et la terre : voilà toute leur philosophie. Telle n’est pas la conception de cette autre race destinée à épuiser toutes les faces de la vie, qui, de l’Inde à la Grèce, de la Grèce aux extrémités du Nord et de l’Occident, a partout animé et divinisé la nature, depuis la statue vivante d’Homère jusqu’au