Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liaisons d’idées presque insaisissables, des misons purement pittoresques, présidaient à la formation de ces étranges fables. Pourquoi Neptune et le Cheval, Vénus et la mer sont-ils toujours associés ? Peut-être ne faut-il chercher à ce rapprochement d’autre raison que la grâce infinie de l’élément humide, les ondulations de ses contours et la manière harmonieuse dont ses courbes se marient aux lignes ondoyantes du plus beau type de la nature animale.

Ce serait vouloir retrouver la trace de l’oiseau dans les airs que de chercher à décrire les sentiers capricieux de l’imagination dans ces premières intuitions religieuses et à établir une classification quelconque entre ces dieux venus des quatre vents du ciel. L’indétermination du sens sous la plus entière détermination de la forme, tel est le caractère essentiel de l’art comme de la mythologie grecque. La mythologie est un second langage, né comme le premier de l’écho de la nature dans la conscience, aussi inexplicable que le premier par l’analyse, mais dont le mystère se révèle à qui sait comprendre les forces cachées de la spontanéité, l’accord secret de la nature et de l’âme, cet hiéroglyphisme perpétuel sur lequel se fonde l’expression de tous les sentimens humains. Chaque dieu nous apparaît ainsi comme un cycle achevé, une région d’idées, un ton de l’harmonie des choses. Ce n’est pas assez de dire avec la vieille école allégorique : Minerve est la prudence, et Vénus la beauté. Minerve et Vénus sont la nature féminine envisagée par ses deux côtés : le côté spiritualiste et saint, le côté esthétique et voluptueux. Si Mercure n’était que le dieu des voleurs et Bacchus le dieu du vin, comme on l’enseigne aux enfans, ce seraient là des fictions médiocrement ingénieuses, d’assez pauvres figures de rhétorique qu’il faudrait laisser à l’épopée de Boileau ; mais l’antiquité n’adora jamais des dieux si grossièrement puérils. Mercure est la nature humaine envisagée dans ses aptitudes et son industrie, l’éphèbe, tel que l’a fait le gymnase, beau par sa vigueur et sa souplesse. Au contraire toutes les idées de jeunesse, de plaisir, de volupté, d’expéditions aventureuses, de faciles triomphes, d’emportemens terribles, se groupent autour de Bacchus. C’est le côté brillant de la vie ; c’est l’enfant chéri des nymphes, toujours jeune, beau, fortuné, entouré de caresses et de baisers ; sa molle langueur, ses formes moins pures, son embonpoint, son type féminin, dégénérant souvent en androgynisme, décèlent une moins noble origine. Comparé au dieu grec par excellence, à Apollon, c’est encore un étranger qui, malgré un long séjour en Grèce, n’a pas perdu son air asiatique ; il est vêtu d’une longue bassaride, car il a peur d’aller nu ; son front est ceint de la mitre orientale, car ses cheveux ne suffisent pas pour le couronner.

Un des mythes qui me semblent les plus propres à faire comprendre cette extrême complexité, ces aspects fuyans, ces innombrables contradictions des fables antiques, est celui de Glaucus[1], mythe humble pourtant, mythe de pauvres gens, mais ayant par-là même mieux conservé son caractère primitif et populaire. Ceux qui ont passé leur enfance au bord de la mer savent

  1. Je prends d’autant plus volontiers ce mythe pour exemple, qu’il a été très bien discuté par un des collaborateurs de M. Guigniaut, M. Vinet, dans les Annales de l’Institut archéologique de Rome, t. XV.