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vie ; mais l’eût-il fait de son propre mouvement, n’obéissant qu’à lui-même, à ses penchans, à ses instincts ? Nous en doutons.

Examinez les œuvres de sa jeunesse, les soixante ou quatre-vingts planches qu’il a gravées jusqu’à l’âge de trente ou trente-deux ans, soit d’après ses propres dessins, soit d’après les dessins d’autrui. Dans le nombre il y a déjà des chefs-d’œuvre ; mais quel en est le caractère dominant ? Y trouve-t-on une aspiration, même timide et confuse, vers cette pureté de forme et de contours, vers cette simplicité de moyens que plus tard il devait priser et rechercher avant tout. C’est à peine s’il entrevoit de temps en temps ce but suprême, et à tout moment il s’en écarte. Ce qui le séduit, ce qui l’attire, c’est la finesse du travail, la souplesse de l’outil. Il est connue indifférent à la beauté des choses et sensible seulement à la manière de les exprimer. Ce n’est pas le but de l’art, c’est le moyen qui le passionne et le préoccupe. Aussi, dès qu’il aperçoit quelque part un emploi neuf et heureux des ressources du burin, un progrès dans la façon de tracer ou de diriger les tailles, il s’élance à la suite du novateur, n’importe d’où il vienne. Non-seulement il lui emprunte son secret, mais pour se l’approprier plus sûrement, il adopte du même coup sa manière de voir et de sentir, sans s’inquiéter s’il voit en beau ou en laid, à l’italienne ou à la flamande, s’il fait des Vénus ou des magots.

De là dans l’œuvre de Marc-Antoine d’étranges disparates et un contraste profond entre deux phases de sa vie. On serait tenté de croire que le travail de deux mains différentes a été faussement attribué à un seul homme, si, sous ces dissemblances de dessin, d’évidentes analogies d’exécution ne venaient constater une identité d’origine. La plupart des grands artistes ont aussi, dans le cours de leur vie, modifié à certains jours le caractère de leur talent ; mais jamais, en changeant de manière, ils n’ont passé de l’une à l’autre brusquement et sans transition. Les dernières œuvres de la période qui finit ont en général avec les premières de celle qui commence un certain air de famille. Chez Marc-Antoine, le changement s’opère à vue, rien ne l’annonce ni le prépare. Ce n’est pas une modification graduelle et successive, c’est une illumination soudaine, une transformation, une conversion ; on pourrait presque dire que le chemin de Rome a été pour lui le chemin de Damas.

Né à Bologne, il était dès son enfance entré chez Francia, s’était formé aux leçons de ce grand artiste, avait conquis son amitié ; mais pendant douze ou quinze ans passés près de sa personne, s’était-il pénétré de son esprit ? Avait-il, comme lui, avec foi, avec amour, voué son talent au culte de la pure et céleste beauté ? Avait-il adopté ces types un peu monotones, mais d’une si noble profondeur, d’une