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escouades sont incessamment en quête de quelque corps organique à dévorer, et cet instinct en fait pour l’homme des ennemis tellement redoutables, que Linné n’a pas hésité à les appeler le plus grand fléau des deux Indes[1]. Invisibles à l’œil de ceux qu’ils menacent, les termites poussent leurs galeries jusqu’aux murs des habitations ou des magasins, descendent sous les fondemens et remontent à l’intérieur : dès lors ils sont maîtres de la place. Les uns s’en prennent aux boiseries, aux meubles, aux provisions de toute nature, d’autres creusent tout droit, attaquent les planchers et les toits ; mais, toujours soigneux d’éviter la lumière, ils respectent avec grand soin la surface des objets attaqués et se contentent de les évider. Si la place leur semble bonne et qu’il y ait beaucoup à dévorer, ils apportent avec eux du mortier pour remplacer au fur et à mesure les parties ligneuses qu’ils ont détruites, et Smeathman a vu des poteaux de bois changés ainsi en colonnes de briques. Dans le cas contraire, ils prennent moins de précautions ; alors l’œuvre de destruction marche avec une rapidité telle qu’en une seule saison une maison à l’européenne est ruinée de fond en comble, qu’un village de nègres a complètement disparu. On les a vus, dans une seule nuit, pénétrer par le pied d’une table, le traverser de bas en haut, atteindre la malle d’un ingénieur placée au-dessus, et en dévorer si complètement le contenu, que le lendemain on ne trouva pas un pouce de vêtement qui ne fût criblé de trous. Quant aux papiers, plans et crayons du propriétaire, ils avaient disparu, y compris la mine de plomb.

Des diverses espèces de termites décrites par les naturalistes, deux seulement paraissent appartenir à l’Europe[2]. Toutes deux sont exclusivement mineuses, et leurs nids, difficiles à découvrir, n’ont pu être étudiés comme ceux de leurs congénères, qui élèvent des édifices au-dessus du sol. Par la même raison, leurs habitudes d’intérieur sont assez peu connues ; mais il n’est que trop facile de constater chez nos termites indigènes les instincts dévastateurs de leurs frères exotiques. En Sardaigne, en Espagne et dans le midi de la France, le flavicolle attaque les oliviers et d’autres arbres précieux. Dans la Gironde et les Landes, le lucifuge s’en prend aux chênes et aux sapins. Est-ce l’une de ces deux espèces qui, renonçant à la

  1. « Termes utriusque Iindiae calamitas summa. » - Systema Naturoe.
  2. On est certainement loin de connaître toutes les espèces de termites qui habitent les deux continens, et la distinction de celles qui ont été décrites laisse encore à désirer. Toutefois les documens recueillis par divers auteurs permettent d’admettre qu’il existe au moins vingt-quatre espèces distinctes de ces insectes, dont neuf appartiennent à l’Afrique, neuf à l’Amérique, deux à l’Asie, deux à l’Europe. On ne connaît pas la patrie des deux autres. Les deux espèces européennes se trouvent en France, et nous verrons plus loin les raisons qui peuvent faite supposer que nous en possédons une troisième.