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rayons du soleil. Les acons sont alors arrêtés par ces espèces de collines, et pour leur rendre la liberté de manœuvre, il faut que la vasière, c’est-à-dire environ 70 millions de mètres carrés, soit en entier renivelée. Ce travail, s’il devait être fait de main d’homme, serait évidemment impossible, dût toute la population riveraine se mettre à l’ouvrage pendant tout l’été. Eh bien ! cette œuvre gigantesque s’accomplit en moins d’un mois, grâce à un crustacé dont le corps, à peine gros comme un dé à coudre, n’a pas plus de 12 à 15 millimètres de long, en y comprenant les antennes. Vers la fin d’avril, les corophies longicornes, vulgairement appelées pernys, arrivent de la haute mer par millions de myriades. Guidées par leur instinct, elles viennent faine une guerre d’extermination aux annélides, qui pendant tout l’hiver et le premier printemps se sont multipliées en paix. À la mer montante, on voit ces chasseurs affamés s’agiter en tous sens, battre la vase de leurs longues antennes, la délayer, et déterrer ainsi, au fond de leurs retraites les plus profondes, néréides et arénicoles. Ont-ils mis à découvert une de ces dernières, plusieurs centaines de fois plus grosse qu’eux, ils se réunissent pour l’attaquer et la dévorer, puis ils se remettent en chasse. Le carnage ne cesse que lorsque les annélides ont presque entièrement disparu ; mais alors la baie entière a été fouillée et aplanie, et les acons peuvent circuler librement. Avant la fin de mai, la besogne est terminée. Alors les corophies se rejettent sur les mollusques, sur les poissons morts ou vivans. Pendant tout l’été, elles restent ainsi sur la côte ; puis une belle nuit, vers la fin d’octobre, elles repartent toutes à la fois, prêtes à revenir l’année suivante et à exercer de nouveau leurs utiles fonctions de terrassiers[1].

En visitant les piquets de ses allourets, Walton ne tarda pas à découvrir que le frai des moules de la côte venait s’y attacher et y prenait un accroissement rapide, que les moules venues ainsi en pleine eau et à l’abri du contact immédiat de la vase gagnaient à la fois en taille et en qualité. Alors il multiplia ses piquets, et, après quelques tâtonnemens, construisit le premier bouchot. Au niveau des basses marées, il enfonça dans la vase, à la distance d’un mètre environ les uns des autres, des pieux assez forts pour résister aux coups de mer. Ces pieux, disposés en deux lignes, formaient un angle dont la base partait du rivage, dont le sommet regardait la pleine eau. Cette double palissade fut ensuite clayonnée grossièrement avec de longues branches, et une étroite ouverture laissée à l’extrémité de l’angle fut destinée à recevoir des engins d’osier où s’arrêterait le poisson entraîné par le reflux. On voit que Walton avait fait du même coup un parc à moules et une pêcherie. Les mérites de cette invention étaient

  1. Mémoire sur la Corophie longicorne, par M. d’Orbigny père. — Journal de Physique, 1821.