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phénomènes tout différent, et dont la Scandinavie nous fournit un curieux exemple. On sait que les côtes de cette presqu’île s’élèvent d’un côté par un mouvement à peu près régulier et lent qui a pu être mesuré. Se passerait-il ici quelque chose d’analogue, et le comblement du golfe tiendrait-il, au moins en partie, à relèvement progressif de la contrée au-dessus de son ancien niveau ? Cette question est d’autant plus permise, que des faits positifs attestent sur quelques points l’action récente de ces forces géologiques qui modifient sans cesse la mince pellicule appelée par nous terre ferme. Aux environs de Fontenay, au milieu même des marais dont nous venons de rappeler l’origine, existent des dépôts coquilliers bien connus des géologues sous le nom de buttes de Saint-Michel-en-l’Herm. Ce sont des bancs considérables composés de coquilles d’huîtres, de moules de peignes, appartenant aux mêmes espèces qui peuplent les mers voisines[1]. Toutes ces coquilles sont en place ; un très grand nombre ont leurs deux valves réunies par le ligament qui sert de charnière, et n’ont pas changé de couleur ; il en est même qui renferment encore une matière animale jaunâtre, résidu du mollusque qui les remplissait autrefois. En un mot, tout dans ces buttes annonce que ces coquillages ont vécu et sont morts là où on les trouve aujourd’hui, et pourtant leurs couches supérieures sont à 8 et 13 mètres au-dessus du niveau des plus fortes marées. Pour expliquer leur existence, il faut bien admettre des soulèvemens locaux circonscrits. Que présenterait de plus étrange un soulèvement plus lent, mais plus étendu des pays voisins ?

Quoi qu’il en soit, l’entrée de l’Aiguillon se rétrécit incessamment au nord. Au midi, la côte n’a éprouvé aucun changement notable, et la pointe de Saint-Clément abrite encore, comme au moyen âge, le petit village d’Esnandes. C’est là que le docteur Sauvé me conduisit pour observer ces curieux phénomènes, contre-partie exacte de ceux qui se passent à Chatelaillon. Grâce à son rapide cabriolet, une heure nous suffit pour franchir les collines ondulées de la presqu’île primitive, et du haut du dernier coteau nous aperçûmes à nos pieds Esnandes avec ses jolies maisons blanches et propres, avec sa singulière église. Ce dernier monument ne ressemble guère à une maison de prière et de paix. N’était la croix qui surmonte un clocher carré et massif comme un donjon, on la prendrait bien plutôt pour un château fort. Des fossés ruinés l’environnent encore. La toiture est cachée par une plate-forme et un chemin de ronde flanqués de tourelles et hérissés de créneaux. La porte et les croisées sont commandées par des mâchicoulis. Çà et là des meurtrières et des embrasures

  1. Les trois buttes de Saint-Michel-en-l’Herm ont ensemble 720 mètres de long, 300 mètres de large, et 10 à 15 mettes de hauteur au-dessus du niveau des marais environnans.