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Il déploie, sans s’en douter, une certaine inspiration démocratique dans la pièce qu’il adresse à Gonzalo Lopez de Guayanes en lui demandant : « Qu’est-ce qui constitue un noble[1] ? » Il porte l’indépendance le son esprit jusqu’à médire, ouvertement de la cour[2].

La valeur littéraire des vers de Fray Diego est peu considérable. Bien qu’il ne soit pas atteint, comme tant d’autres, de la manie d’érudition qui règne à la fin du moyen âge, on s’aperçoit qu’il est instruit et qu’il est familiarisé avec les langues latine et hébraïque. Son talent poétique, qui manque d’élévation, était flexible et facile. Il s’est essayé dans tous les genres, mais c’est surtout comme poète érotique ou burlesque qu’il a mérité l’attention de ses contemporains.

À côté des poètes dont le Cancionero ne fait que confirmer la notoriété littéraire, il en est de complètement inconnus que ce précieux recueil nous révèle : tel est Pero Gonzales de Useda. L’épigraphe de Baena nous apprend qu’il était fils d’un noble chevalier de Cordoue, et qu’il cultivait les doctrines du célèbre, Majorquin Raymond Lulle. On est fondé à croire que Gonzales de Useda s’adonnait particulièrement aux élucubrations philosophiques ; il passait pour un savant. Baena parle de lui comme d’un poète, déjà ancien, et il est évident qu’il n’existait plus à l’époque de la compilation du Cancionero. Il est donc permis de conjecturer que Gonzales de Useda écrivait vers la fin du XIVe siècle, ou vers les premières années du suivant. Il ne nous est parvenu que deux productions de ce troubadour ; elles portent l’empreinte de l’originalité et du talent. La plus remarquable sort du cadre où se renfermait d’ordinaire cette poésie si subtilement naturelle et si prétentieusement philosophique de la cour de Castille. L’auteur raconte à un ami les vicissitudes chimériques qu’il traverse dans les hallucinations d’un songe. Il se croit d’abord voyageur et visite la Hongrie, l’Égypte ; ensuite savant, il fréquente les docteurs de Bologne ; puis négociant flamand, il amasse à Séville une immense fortune. Encore mal satisfait, il se fait pèlerin, ermite, et devient pape ; il veut prendre rang parmi les nobles, et le voilà comte ; il rêve les émotions de la guerre, et il est général victorieux ; plus tard, astrologue et alchimiste, il fait de l’or ; amiral, il asservit les mers ; empereur et législateur, il voit les rois à ses pieds ; élégant et beau cavalier enfin, il gagne le cœur de toutes les belles. Mais bientôt le poète se réveille, et il retombe triste et soucieux dans les anxiétés de la vie réelle. Nous ne savons si Useda a eu l’intention de tracer l’image de l’instabilité et du néant des désirs humains : toujours est-il que ses vers révèlent une imagination riche et mobile.

  1. Porqué son los fidalgos.
  2. Voici la première strophe d’une de ses complaintes où, selon Baena lui-même qui le déclare, Fray Diego inonde et le palais et ceux qui l’habitent {profasando del palacio et de los que en él viven).

    Porque veo que se mueve
    La grant rrueda del Palaçio
    Muy à priesa, sun espacio,
    E non fas curso cual deve…

    « Je m’aperçois que la grande sphère du palais tourne trop vite et sans mesure, et qu’elle ne fait pas ses révolutions comme elle le doit. »