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« KOENIGSMARK. — La princesse est innocente ! (il retombe évanoui.)

« LA COMTESSE (éperdue, l’œil hagard, et déchirant ses vêtemens pour bander les plaies de Koenigsmark.) Du vinaigre ! de l’eau ! Il va mourir…

« KOENIGSMARK. — (Il ouvre de nouveau les yeux, et apercevant la comtesse.) Malédiction sur toi, exécrable !… (Il va continuer, lorsque Elisabeth se redresse et lui met froidement le pied sur la bouche ; Koenigsmark expire.)


IV

Tel est le récit que Sophie-Dorothée présente elle-même de la mort du comte Philippe de Kœnigsmark, et cette version dramatisée de la princesse s’accorde avec les confessions recueillies plus tard par l’ecclésiastique Kramer de la bouche de Mme de Platen et de celle d’un certain Bussmann, un des sbires. Au dire de cet homme toutefois, Koenigsmark, se sentant assailli, recula d’un pas, mit l’épée à la main, et fit contre ses assassins une si vigoureuse et si fière défense, qu’il en blessa trois et vit son épée brisée en morceaux avant de recevoir le coup mortel. J’inclinerais volontiers vers cette donnée, elle me paraît plus vraisemblable et plus dans le caractère du héros ! Cette mort à la Bussy d’Amboise est au moins d’un Kœnigsmark, tandis que l’esprit répugne à se figurer ce lion garrotté d’avance et réduit à ne pouvoir marchander sa vie. Lorsque Philippe eut été frappé à mort, — toujours d’après le récit de ce Bussmann, — on le porta dans une chambre attenant à la salle des Chevaliers, et ce fut là que son regard avant de s’éteindre rencontra pour la dernière fois le visage de la comtesse, sur les traits de qui se peignait une abominable expression de triomphe. Kœnigsmark, au moment d’expirer, rassembla ses dernières forces pour maudire cette horrible femme ; mais le malheureux n’eut pas même cette satisfaction suprême, car, sitôt qu’il voulut parler, le pied d’Elisabeth de Platen se posa sur sa bouche sanglante et la fit taire pour jamais. Ainsi périt le dernier des Kœnigsmark.

Mme de Platen courut aussitôt chez l’électeur, à qui elle représenta la mort du comte comme une conséquence fatale de la résistance qu’il avait opposée à l’ordre d’arrestation ; mais cette raison même ne put excuser le crime aux yeux d’Ernest-Auguste, qui s’emporta violemment contre la favorite et l’accabla des plus amers reproches. Il y avait là en effet, si l’on y réfléchit, pour l’électeur de Hanovre, quelque chose de plus qu’une question de justice et d’humanité. Politiquement, et à ne considérer que les embarras qui devaient en résulter dans les rapports de l’électeur avec différens princes de l’Allemagne, ce meurtre n’était point seulement un crime, mais une faute. Une individualité telle que celle de Kœnigsmark ne disparaît pas de ce monde des cours sans occuper plus ou moins la rumeur publique. Philippe en outre était au service d’un souverain étranger,