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quelque sorcière de Macbeth fabriquant l’œuvre sans nom. Par momens son impatience n’y tenait plus ; elle se levait, marchait à grands pas dans la galerie et renouvelait ses ordres aux spadassins, immobiles et la rapière nue derrière les faunes sculptés et les nymphes canéphores de la gigantesque cheminée.

L’horloge du château sonna deux heures. Du côté de l’appartement de la princesse, une porte s’ouvre discrètement et soudain se referme ; des pas sourds et mystérieux se font entendre le long des corridors déserts ; c’est Kœnigsmark qui cherche à tâtons une issue, et, trouvant toutes les portes verrouillées, se décide à prendre par la salle des Chevaliers pour de là se diriger vers une porte donnant sur les jardins, laquelle n’est jamais fermée. À l’approche du jeune comte, toute lumière s’est éteinte, et Mme de Platen se dérobe dans le corridor voisin. Un rayon de lune qui perce entre deux nuages éclaire seul les profondeurs de la galerie ; c’en est assez pour Kœnigsmark, qui connaît les êtres du château. Il avance ; mais au moment où il va pour passer devant la cheminée, quatre hommes lui sautent à la gorge.

« KŒNIGSMARK. — Au secours ! A l’aide ! trahison !

« LA COMTESSE DE PLATEN, entr’ouvrant la porte du corridor, pâle, les cheveux en désordre, un flambeau à la main. — Empêchez-le de tirer son épée, et vous, faites usage de vos armes ! Frappez ! Trois coups dans la poitrine, un à la tête ; bon ! maintenant visez au cœur. Ferme donc ! plus ferme ! Terrassez-moi ce misérable et lui liez les mains !

« KOENIGSMARK. - Tuez-moi ! mais épargnez la princesse ; la princesse est innocente !

« LA COMTESSE. — Laissez dire cet homme et suivez en tout point mes ordres. Mais terrassez-le donc, brutes ; qu’attendez-vous ?

« KOENISGMAR. — Tuez-moi ! Grâce pour elle !

« LA COMTESSE. — Que deux de vous se chargent de ses bras, deux autres de ses pieds, tandis que le cinquième et le sixième vont s’occuper de le garrotter ; mais auparavant, qu’on le bâillonne ! Serrez la corde davantage, encore, comme ça ! bien ! Nous le tenons !

« KOENIGSMARK. — Je meurs ! Grâce pour elle !

« LA COMTESSE. — Mais bâillonnez-le donc, imbéciles ! C’est fait ! Serrez les nœuds un peu plus fort et tâchez de l’emporter d’ici, (Les six hommes essaient de soulever leur victime ; mais à peine debout, Koenigsmark, dont le sang coule à flots, s’affaisse sur lui-même et retombe inanimé.) Étendons-le sur le parquet. Vite, ôtons-lui ce bâillon ; il étouffe ; ne voyez-vous donc pas qu’il étouffe ? (Bas à Koenigsmark tandis qu’elle lui ôte le mouchoir de la bouche et s’efforce d’étancher ses blessures). Allons, traître, dis la vérité : n’est-ce pas qu’elle s’est donnée à toi, cette femme ?

« KOENIGSMARK. — (il cherche à se soulever sur coude et rouvre ses yeux mourans.) Ah ! te voilà, monstre !

« LA COMTESSE. — Le temps presse ; voyons, plus de mensonges et me dis ce qu’il en est.