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tice et des lettres me détermine. Tel homme que l’impulsion d’un beau génie eût porté à renouveler les chefs-d’œuvre dramatiques de nos maîtres, certain qu’il ne vivra pas trois mois du fruit des veilles de trois années, après en avoir perdu cinq à l’attendre, se fait journaliste, libelliste, ou s’abâtardit dans quelque autre métier aussi lucratif que dégradant. »


Après une conversation avec Beaumarchais, le duc de Duras paraît s’enflammer d’une belle ardeur pour la cause de la justice. Il déclare qu’il est temps d’en finir avec ces débats, où les auteurs sont à la discrétion des comédiens. Il propose de substituer à ces comptes arbitraires un règlement nouveau où les droits des deux parties seront stipulés de la manière la plus claire, la plus précise et la plus équitable. Il invite Beaumarchais à consulter quelques auteurs dramatiques et à lui soumettre un plan. Ce dernier répond que dans une question qui les intéresse tous également, tous les auteurs dramatiques qui ont écrit pour le Théâtre-Français sont égaux, et qu’il faut les rassembler tous. Le duc de Duras y consent, et la première société des auteurs dramatiques est fondée par la circulaire suivante, où Beaumarchais les invite tous à dîner chez lui :


« Paris, ce 27 juin 1777.

« Une des choses, monsieur, qui me paraît le plus s’opposer aux progrès des lettres est la multitude de dégoûts dont les auteurs dramatiques sont abreuvés au Théâtre-Français, parmi lesquels celui de voir leur intérêt toujours compromis dans la rédaction des comptes n’est pas le moins grave à mes yeux.

« Frappé longtemps de cette idée, l’amour de la justice et des lettres m’a fait prendre enfin le parti d’exiger personnellement des comédiens un compte exact et rigoureux de ce qui me revient pour le Barbier de Séville, la plus légère des productions dramatiques à la vérité ; mais le moindre titre est bon quand on ne veut que justice.

« M. le maréchal de Duras, qui veut sincèrement aussi que cette justice soit rendue aux gens de lettres, a eu la bonté de me faire part d’un nouveau plan et d’entrer avec moi dans des détails très intéressans pour le théâtre, qu’il m’a prié de communiquer aux gens de lettres qui s’y consacrent, en m’efforçant de réunir leurs avis à ce sujet.

« Je m’en suis chargé d’autant plus volontiers que je mettrais à la tête de mes plus doux succès d’avoir pu contribuer à dégager le génie d’une seule de ses entraves.

« En conséquence, monsieur, si vous voulez me faire l’honneur d’agréer ma soupe jeudi prochain, j’espère vous convaincre, ainsi que MM. les auteurs dramatiques à la suite desquels je m’honore de marcher, que le moindre des gens de lettres n’en sera pas moins en toute occasion le plus zélé défenseur des intérêts de ceux qui les cultivent.

« J’ai l’honneur d’être avec la plus grande considération, monsieur, votre, etc.

« Caron de Beaumarchais. »