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frais extraordinaires, les comédiens concluaient ainsi : « Partant, pour son droit acquis du douzième de la recette des cinq représentations de sa pièce, l’auteur redoit la somme de 101 livres 8 sous 8 deniers à la Comédie. »

Tel était l’état des choses en 1776. Les auteurs isolés et sans influence se trouvaient complètement à la merci d’une corporation d’acteurs et d’actrices très bien organisée, dirigée en apparence par les quatre premiers gentilshommes de la chambre du roi, mais en réalité se dirigeant elle-même, car parmi ces quatre gentilshommes deux seulement, le duc de Richelieu et le duc de Duras, s’occupaient un peu de leur charge, à cause de certains agrémens qui y étaient attachés et qui les rendaient naturellement fort disposés à donner raison aux acteurs et aux actrices contre les auteurs dramatiques. Il faut ajouter que, le goût des plaisirs du théâtre ayant pris une extension de plus en plus grande, la Comédie-Française, par suite de son monopole, faisait de très belles recettes et se confirmait chaque jour davantage dans la douce habitude de confisquer les pièces ou de réduire de plus de moitié la part des auteurs.

Ces habitudes prises par les comédiens français engendraient des querelles perpétuelles : aussi plusieurs auteurs, comme Piron, Sedaine et Collé, avaient-ils fini par déserter le Théâtre-Français pour se consacrer au genre exploité par le Théâtre-Italien, qui les traitait beaucoup mieux.

Malgré son insouciance, le duc de Richelieu, fatigué de ces conflits, voyant dans Beaumarchais un littérateur riche, plus aimé des comédiens que des gens de lettres, par conséquent disposé à l’impartialité, avait eu la pensée de l’inviter à étudier la question, et à tâcher d’établir des rapports plus satisfaisans entre les deux parties. Il l’avait même autorisé à compulser à cet effet les registres de la Comédie : mais quand il se présenta avec la lettre du maréchal, les comédiens indignés refusèrent la communication demandée, et déclarèrent que M. le maréchal n’avait pas plus de droits que Beaumarchais à examiner leur livre de recettes.

Repoussé dans cette première démarche comme arbitre conciliateur, l’auteur du Barbier de Séville hésita quelque temps à profiter de l’occasion toute naturelle que lui donnait son droit sur le produit de sa pièce pour entamer la guerre en son propre nom. Il était content des comédiens ; il les avait habitués à l’aimer et à l’honorer comme un auteur qui donnait ses ouvrages gratis. Leur demander un compte exact et sévère, c’était se brouiller avec eux, se brouiller avec d’aimables actrices dont il appréciait l’influence, et dont il serait plus difficile d’avoir raison que d’un conseiller au parlement ; c’était de plus s’exposer à des débats pénibles en faveur de confrères qui peut-