Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/565

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de sa place, où iriez-vous chercher le plaisir de ses applaudissemens ? Passe encore de déraisonner ; mais ravaler à nos yeux la douce, l’utile recette, et faire ainsi le dédaigneux d’une chose aussi loyalement profitable ! Examinez tous les étais, depuis le grave ambassadeur qui chiffre le papier jusqu’à l’auteur badin qui le barbouille, depuis le ministre ingénieux qui invente un nouvel impôt jusqu’à l’obscur filou qui fouille aussi dans les poches, où se fait-il rien qui ne soit au profil de la tant bien-aimée recette ? Et le général couvert de gloire qui demande un gouvernement, et l’héritier d’un nom illustre qui recherche une financière, et le pieux abbé qui court un bénéfice, et le grave magistrat qui pâlit sur les affaires, et le légataire assidu qui intrigue autour de son grand-oncle, et la mère honnête qui livre sa fille à l’inutilité nuptiale d’un vieillard amoureux, et celui qui navigue, et celui qui prêche, et celui qui danse, enfin tous jusqu’à moi dont je ne parle point, mais qui ne m’oublie pas plus qu’un autre, y a-t-il un seul homme au monde qui n’agisse pour augmenter la bonne, la douce, la trois, quatre, six, dix fois agréable recette ? Avec vos fades complimens, vous sollicitez le public comme un juge austère ; moi je l’aime comme ma bonne mère nourrice. Elle me donnait quelquefois sur l’oreille ; mais ses caresses étaient douces, et son lait inépuisable. Logomachie, battologie, cliquetis de paroles que tous ces beaux discours ! et puis qu’est-ce que l’offensé qui baisse les yeux timidement quand le public a de l’humeur ? Quand le public s’élève contre un comédien, n’est-ce pas celui-ci qui est l’agresseur ? c’est du plaisir que le public vient chercher, et il mérite bien d’en prendre ; il l’a payé d’avance. Est-ce sa faute si on ne lui en donne pas ? Galimatias que tout votre compliment ! Que de sottises on fait passer dans le monde avec des tournures ! Enfin vous le ferez comme vous voudrez ; mais, pour moi, je n’emploierais pas toutes ces grandes phrases de respect et de dévouement dont on abuse à la journée et qui ne séduisent personne ; je dirais uniment : Messieurs, vous venez tous ici payer le plaisir d’entendre un bon ouvrage, et c’est ma foi bien fait à vous. Quand l’auteur tient parole et que l’acteur s’évertue, vous applaudissez par-dessus le marché, bien généreux de votre part assurément. La toile tombée, vous emportez le plaisir, nous l’éloge et l’argent ; chacun s’en va souper gaiement, et tout le monde est satisfait, charmant commerce, en vérité ! Aussi je n’ai qu’un mot, notre intérêt vous répond de notre zèle ; pesez-le à cette balance, messieurs, et vous verrez s’il peut jamais être équivoque. Hein, docteur ? comment trouvez-vous mon petit calembour !

Bartholo. — Ce maraud-là fait si bien, qu’il a toujours raison.

Un acteur de la petite pièce[1]. — Avez-vous donc juré de nous faire coucher ici avec votre compliment, que vous ne ferez point, à force de le faire ? Le public s’impatiente.

Bartholo. — Dame ! un moment, c’est pour lui que nous travaillons.

L’acteur. — Eh mais ! allez travailler dans une loge, au foyer, où vous voudrez ; pendant ce temps, nous commencerons la petite pièce.

Bartholo. — Quel homme ! Laissez-nous donc tranquilles.

L’acteur. — Vous ne voulez pas sortir ? Jouez, jouez bien fort, messieurs

  1. C’est la pièce qu’on devait jouer pour terminer le spectacle.