Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/560

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ture qui nous tient le bec à l’eau jusqu’au dernier jour, et, quand on doit le prononcer, il faut que je le fasse, moi… « Messieurs, si votre indulgence ne rassurait pas un peu mon génie alarmé… » Je ne ferai jamais ce compliment-là… « Messieurs, votre critique et vos applaudissemens nous sont également utiles, en ce que… » La peste soit de l’homme ! « Messieurs… pour bien rendre ce que je sens, il faudrait… il faudrait… » Ah ! pour bien faire, il faudrait que ce compliment eût quelque rapport à l’habit dans lequel je dois le débiter ; voyons : « Messieurs, de même que les médecins entreprennent tous les malades, mais ne guérissent pas toutes les maladies… » Qu’une bonne fièvre putride eût pu le saisir au collet, auteur de chien, perfide auteur !… « entreprennent tous les malades, mais ne guérissent pas toutes les maladies… de même les comédiens hasardent toutes les pièces nouvelles, sans être sûrs que la réussite… » Ah ! je sue à grosses gouttes et je ne fais rien qui vaille… « Messieurs… messieurs… »


SCÈNE DEUXIÈME.
BARTHOLO (Desessarts), FIGARO (Préville), LE COMTE ALMAVIVA (Bellecourt).

Figaro, riant. — Ah ! ah ! ah ! ah ! messieurs… Eh bien ! messieurs ?

Bartholo. — Ah ça ! venez-vous encore m’impatienter, vous autres ?

Le Comte. — Nous venons vous offrir nos conseils, bon docteur.

Bartholo. — Je n’ai pas besoin de précepteurs aussi goguenards. Je vous connais à présent.

Le Comte. — Nous ne plaisantons point, je vous jure, et nous sommes aussi intéressés que vous à ce que votre compliment soit agréable au public.

Figaro. — Ou qu’il rie du complimenteur ; En vérité, nous ne venons ici qu’à bonne intention.

Bartholo. — Oui !… à la bonne heure… C’est que j’ai une singularité fort singulière, moi ! Quand je n’ai rien à faire, mon esprit va, va comme le diable, et dès que je veux me mettre à composer…

Figaro. — Il prend ce temps-là pour se reposer. Je sais ce que c’est, docteur. Il ne faut pas que cela vous étonne ; cet accident arrive à beaucoup d’honnêtes gens comme vous qui se mettent à l’œuvre sans idées. Mais savez-vous ce qu’il faut faire ? Au lieu de rester en place en composant, ce qui engourdit la conception et rend l’accouchement pénible à une jeune personne de votre corpulence, il faut vous remuer, docteur, aller et venir, vous donner de grands mouvemens.

Bartholo. — C’est ce que je fais aussi depuis une heure.

Figaro. — Et prendre la plume dès que vous sentez que les esprits animaux vous montent à la tête.

Bartholo. — Comment ! les esprits animaux…

Le Comte. — Finis donc, Figaro, il est bien temps de plaisanter !

Bartholo. — Ingrat barbier pour qui j’eus mille bontés, tu ris de mon embarras, au lieu de m’en tirer.

Le Comte. — Où en êtes-vous, docteur ?

Bartholo. — J’en suis à imaginer pour la clôture quelque chose qui me fasse au moins déployer un beau talent devant le public.

Figaro. — Déployer un beau talent ! Eh mais ! ne cherchez pas, docteur ;