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moyen d’additions et de retranchemens tous écrits de sa main, et il a été augmenté d’un acte. C’est ce manuscrit de la première représentation que j’ai retrouvé dans les papiers de famille ; il diffère également du texte imprimé et définitif, qui a été composé sur les deux manuscrits précédens.

En comparant ces trois textes du Barbier de Séville, on peut suivre exactement le travail assez curieux qui s’opère dans l’esprit de Beaumarchais sous l’influence des changemens apportés dans sa situation par le procès Goëzman et sous l’influence de la chute de sa pièce à la première représentation. Dans le manuscrit primitif en quatre actes, celui de la Comédie-Française, daté du 8 mars 1774, dont la composition remonte à la fin de 1772, et qui par conséquent a précédé le procès Goëzman, la pièce est purement et simplement un imbroglio du genre gai, plus mal intriguée que celle du texte imprimé, offrant beaucoup de longueurs, offrant plus de traces de l’ancien opéra-comique, par exemple trois chansons de plus, renfermant aussi un assez grand nombre de quolibets de mauvais goût, avec une nuance générale de grosse gaieté qui la rapproche davantage de la farce. D’un autre côté, les allusions et les généralités satiriques y sont beaucoup plus rares que dans le texte publié, et la pièce n’offre pas encore cette physionomie philosophique et frondeuse qui commence déjà à se dessiner dans le Barbier, tel qu’il a été imprimé, et qui se prononcera bien plus encore dans le Mariage de Figaro.

Le manuscrit modifié et augmenté d’un acte pour la première représentation est beaucoup plus chargé dans tous les sens que les deux textes dont je viens de parler ; Beaumarchais s’y donne carrière. C’est un homme devenu célèbre par un procès éclatant, qui retouche une pièce composée à une époque où il était encore peu connu, et où il n’avait point eu à se défendre contre des ennemis acharnés. Le changement de sa situation se fait sentir dans les changemens de sa pièce. C’est ainsi, par exemple, que la fameuse tirade sur la calomnie, que Beaumarchais met dans la bouche de Basile, et qui est un des morceaux les plus brillans et les plus significatifs du Barbier, ne se trouve pas dans le manuscrit primitif, dans celui du Théâtre-Français ; elle a été ajoutée après coup, en 1775, sur le manuscrit qui a servi à la première représentation, au moyen d’un feuillet collé écrit tout entier et d’un seul jet de la main de Beaumarchais. L’auteur comique éprouvait le besoin de venger le plaideur. Dans le manuscrit primitif, Basile, reprochant à Bartholo de ne pas lui avoir donné assez d’argent, se contentait de lui dire, en style de musicien : « Vous avez lésiné sur les frais, et dans l’harmonie du bon ordre, un mariage inégal, un passe-droit évident, sont des dissonances qu’on doit toujours préparer et sauver par l’accord parfait de l’or. » Dans le manuscrit