Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/542

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Deux Amis et le goût qu’il eut toujours pour les couplets jetaient Beaumarchais d’un extrême à l’autre, du genre larmoyant dans le genre chantant et bouffon. Ce qui faisait l’originalité du Barbier de Séville sous cette première forme, c’est que l’auteur des paroles était en même temps, sinon l’auteur, au moins l’arrangeur de la musique. On se rappelle que dans ses lettres de Madrid, à côté d’un dédain assez marqué pour le théâtre espagnol en général, Beaumarchais manifeste un enthousiasme très vif pour la musique espagnole, et particulièrement pour les intermèdes chantés connus sous le nom de tonadillas ou saynètes. C’est le souvenir de ces tonadillas qui paraît avoir donné naissance au Barbier de Séville ; il fut d’abord composé pour faire valoir des airs espagnols que Beaumarchais avait apportés de Madrid et qu’il arrangeait à la française. « Je fais, écrit-il à cette époque, des airs sur mes paroles et des paroles sur mes airs. » Soit que les airs espagnols de Beaumarchais n’aient point séduit les oreilles des acteurs de la Comédie-Italienne, soit qu’ils aient trouvé que la pièce sous cette forme ressemblait trop à l’opéra de Sedaine : On ne s’avise jamais de tout, joué sur le même théâtre en 1761, toujours est-il que le Barbier de Séville opéra-comique fut refusé net par les comédiens italiens en 1772[1]. Gudin, dans ses mémoires inédits, attribue ce refus à l’influence du principal acteur, Clairval, qui avait débuté dans la vie par l’état de barbier, et qui, après avoir représenté Figaro au naturel dans les boutiques de Paris, avait une antipathie invincible pour tout rôle qui lui rappelait sa première profession. Beaumarchais fut donc obligé de renoncer à faire jouer son opéra-comique. Je n’en ai retrouvé dans ses papiers que quelques lambeaux qui me portent à penser que ce n’est pas une grande perte, le talent poétique de l’auteur étant très inégal, produisant rarement deux bons couplets de suite, et son talent de mu-

    vera que même à cette époque la Comédie-Italienne alternait encore entre les farces dans le goût italien et l’opéra-comique. L’affiche est ainsi conçue : « Les comédiens italiens donneront aujourd’hui les Défis d’Arlequin et de Scapin, comédie italienne ; demain les Évènemens imprévus et Rose et Colas. »

  1. Le manuscrit du Barbier comédie contient plusieurs allusions à cet échec, allusions qui furent supprimées à la seconde représentation. Ainsi, dans un passage, Figaro disait : « J’ai fait un opéra-comique qui n’a eu qu’un quart de chute à Madrid. — Qu’entendez-vous par un quart de chute ? demandait Almaviva. — Monsieur, répondait Figaro, c’est que je ne suis tombé que devant le sénat comique du scenario ; ils m’ont épargné la chute entière en refusant de me jouer. » Et il débitait ensuite un des airs du Barbier opéra-comique :

    J’aime mieux être un bon barbier,
    Traînant ma poudreuse mandille,
    Tout bon auteur de son métier
    Est souvent forcé de piller,
    Grappiller,
    Houspiller, etc.