Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la rivière, et s’était portée sur les villes de Fa-long et de Clio-keum pour les piller ; mais, trouvant la population en armes et un corps de troupes cochinchinoises accouru pour le repousser, Shap-ng-tsai s’était décidé à aller chercher sur un autre point des dépouilles plus faciles. Trente-sept jonques étaient déjà sous voiles, louvoyant pour sortir de la rivière. À la vue des steamers anglais, elles laissèrent arriver et vinrent reprendre leur mouillage en dedans de la barre.

Shap-ng-tsai, en changeant le théâtre de ses déprédations, s’était surtout promis d’échapper à la poursuite des navires européens. Il venait d’être rejoint par un de ses anciens compagnons, Seung-a-ki, qui avait reçu du vice-roi de Canton la mission de lui offrir le bouton de mandarin et d’engager sa flotte au service de l’empereur chinois. Shap-ng-tsai n’avait point encore voulu souscrire à ces propositions, craignant que sous des offres si séduisantes la trahison n’eût caché quelque piège. Dès qu’il aperçut la fumée des steamers anglais, il ne douta pas qu’il n’eût été livré par l’envoyé du vice-roi, et fit immédiatement trancher la tête à ce malencontreux émissaire. De sept heures du matin jusqu’au soir, les steamers anglais cherchèrent vainement un passage, pour pénétrer dans la rivière. Les mandarins cochinchinois avaient rassemblé leurs troupes sur le rivage et assuraient le capitaine Hay qu’ils étaient prêts à massacrer les pirates dès qu’ils mettraient pied à terre. On demanda à ces mandarins des pilotes. Ceux qu’ils fournirent connaissaient, mal l’entrée de la rivière : ils assuraient qu’il existait un passage, mais ils ne pouvaient indiquer d’une façon précise sur quel point de cette vaste embouchure on devait le trouver. Il était trois heures de l’après-midi quand le Phlegethon reçut enfin d’un village bâti sur une des pointes marécageuses de l’embouchure un pilote plus capable qui, faute de bateau, atteignit le steamer anglais à la nage. Le chenal fut balisé par deux embarcations, et le Fury remorquant le Columbine franchit rapidement la passe dans les eaux du Phlegethon forcés dans leur repaire, les pirates se débandèrent ; quelques jonques seules tinrent ferme, et parmi ces jonques se trouvait celle de Shap-ng-tsai. Exposées au feu redoutable de la division anglaise, qui s’était mouillée hors de la portée de leur misérable artillerie, ces premières jonques furent bientôt détruites. Les embarcations des steamers poursuivirent celles qui avaient déjà remonté, la rivière. Après avoir obligé les pirates à les abandonner, les Anglais y mirent le feu. Cinquante-huit jonques furent ainsi brûlées ou coulées à fond ; six seulement, profitant de l’obscurité de la nuit, parvinrent à s’échapper à la marée haute par une autre branche du fleuve. Shap-ng-tsai, suivant le rapport des prisonniers, s’était jeté, après l’explosion de la jonque qu’il montait, dans un petit bateau à rames. On présuma qu’il avait pu