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que l’Europe et la Chine ; le détroit de Malacca est la grande route de Calculta ou de Bombay à Canton. Moins de cinq cents lieues séparent Singapore des côtes du Bengale et de côtes du Céleste Empire. Du sommet de ce triangle, l’Angleterre peut donc aisément surveiller les deux mers où son ambition l’appelle à dominer. Elle n’est plus qu’à cent lieues des côtes de Bornéo, qu’à cent quatre-vingts des rivages de Java ; elle ouvre un nouveau débouché aux produits de la Malaisie, et attire insensiblement sous son égide tout ce qui n’a point encore subi la tutelle de l’Espagne et de la Hollande. Grâce à une telle position, le succès de l’établissement nouveau ne fut point un instant douteux. Avant de mourir, en 1827, Raffles put voir les opérations du comptoir qu’il avait fondé acquérir un degré d’importance que nul économiste n’aurait osé prévoir.

La prospérité de Singapore ne fit que grandir jusqu’au jour où la guerre de l’opium ouvrit aux vaisseaux anglais l’accès de nouveaux ports sur les côtes du Céleste Empire. Les transactions commerciales dont cet établissement était devenu le centre s’élevaient, année moyenne, à plus de 120 millions de francs. Depuis cette époque, le marché de Singapore est demeuré stationnaire, s’il n’a même subi un mouvement rétrograde : le commerce du thé s’est concentré dans les ports de la Chine, et les opérations directes avec la Grande-Bretagne ont à peine dépassé le chiffre de quelques millions ; mais Singapore n’a point cessé d’être l’entrepôt où les divers états asiatiques viennent par l’intermédiaire des négocians anglais, échanger leurs produits. C’est sur ce marché, ouvert à tous les pavillons, que les pros de Célèbes apportent la cire et le tripang de Timor, l’antimoine et l’or de Bornéo, la nacre et l’écaille de tortue pêchées dans la mer de Soulou.

L’Angleterre fournit presque seule les marchandises dont ces barques indigènes composent leurs cargaisons de retour. Singapore cependant n’est pas une ville anglaise : on y compte à peine quatre cents Européens sur une population de soixante mille âmes. Ce n’est pas même une ville chinoise, bien que les Chinois y soient en majorité. C’est un pandœmonium où tout ce qui veut trafiquer d’une industrie légitime ou illicite est assuré de trouver un asile. Le quartier européen, avec ses fraîches retraites, candides et pures comme des nids de colombes, est assis entre un repaire de forbans et un village de fumeurs d’opium. Si la sécurité de la colonie n’est pas plus souvent compromise par la présence de ces hôtes dangereux, c’est qu’ils redoutent les procédés sommaires de la police anglaise, ou qu’ils respectent peut-être cet unique refuge ouvert à leurs rapines. C’est ailleurs qu’ils vont porter la dévastation. Les côtes de Bornéo et l’entrée du golfe de Siam sont infestées par ces écumeurs de mer. Malheur à eux s’ils rencontrent alors les croiseurs britanniques ! La main qui