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peu de chose à ce compromis. Il put limiter, mais il ne détruisit pas l’abus principal. Si Henri céda sur une cérémonie superflue, il conserva le fond de la chose. Le droit qu’il assumait de nommer les évêques et les abbés demeura intact[1]. »

En somme cette lutte, sans jamais manquer d’intérêt, n’a pas de véritable grandeur, et c’est pourquoi il semble que M. de Rémusat ne se hâte pas assez d’arriver aux titres vraiment historiques de saint Anselme, je veux dire à sa philosophie. Les vertus du moine, les luttes courageuses de l’archevêque s’éclipsent devant la gloire du théologien et du penseur.

Voyez Anselme à son lit de mort ; quelle est la dernière pensée de ce pieux personnage ? quel est son dernier regret ? C’est de n’avoir pu terminer un ouvrage de pure métaphysique. Le véridique Eadmer raconte que peu de jours avant la fin d’Anselme, c’était le dimanche des Rameaux, un des moines qui se pressaient autour du mourant lui dit : « Notre seigneur et père, autant qu’il nous est donné de le savoir, tu iras, quittant le siècle, à la cour de notre divin maître pour le jour de Pâques. » Anselme répondit : « Si telle est sa volonté, j’obéirai de bon cœur ; mais s’il aimait mieux me laisser encore parmi vous au moins assez longtemps pour résoudre une question que je médite touchant l’origine de l’âme, j’accepterais avec reconnaissance, d’autant que je ne sais si, moi mort, personne la résoudra. » Sublime et naïf regret où l’on sent sous la foi du chrétien l’ardeur inextinguible du philosophe ! Comme dit si bien M. de Rémusat : « La recherche de la vérité passionne encore ces grands et inquiets esprits au moment où ils vont à elle ; ils préfèrent l’amour à la possession, et sur le seuil du ciel ils regrettent de la terre le travail et l’espérance. »


II

À tous les momens de sa carrière agitée, saint Anselme s’est recueilli pour méditer et pour écrire. Ses ouvrages, réunis par les doctes soins d’un bénédictin[2], sont donc très nombreux. Si on met à part les Lettres, d’ailleurs si curieuses, et où M. de Rémusat a su puiser mille détails charmans, si on laisse également de côté les ouvrages de piété, parmi lesquels il suffit de citer les Méditations, ouvrage souvent traduit et cent fois réimprimé[3], les principales compositions d’Anselme se classent en deux groupes, suivant qu’elles

  1. Lingard, Histoire d’Angleterre, t. Il de la trait, franc., ch. III, p. 193.
  2. Dom Gerberon a publié les œuvres complètes de saint Anselme. La meilleure édition est celle de Paris, 1675 ; 1 vol. in-folio.
  3. Il en a paru récemment une traduction française par M. Denain. Paris, 2 vol. in-12.