Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses rameaux ? Des enfans vous ont été donnés pour qu’ils croissent et fructifient, et vous les tenez dans une si rude contrainte, que leurs pensées s’accumulent dans leur sein, et n’y prennent que des formes vicieuses et tourmentées. Nulle part autour d’eux la charité, la piété, ni l’amour ; dans leur âme irritée croissent la haine, la révolte et l’envie. Ne sont-ce pas des hommes pourtant ? Leur nature n’est-elle pas la nôtre ? Et voudriez-vous qu’on vous fît ce que vous leur faites ? Vous les battez ! mais est-ce seulement en battant l’or et l’argent que l’artisan en forme une belle statue ?… » Dans ces images, dans ces paraboles familières, ne sentez-vous pas cet esprit de douceur qui circule dans l’Évangile, et ne vous semble-t-il pas entendre la voix de celui qui disait : Laissez venir à moi les petits enfans !

Anselme s’intéressait de préférence à tout ce qui était faible et souffrant. On cite un vieillard nommé Herewald qui, parvenu à la dernière décrépitude et n’ayant plus que la parole, ne consentait à recevoir des alimens que de lui, et à qui il rendait les forces en exprimant lui-même le jus du raisin qu’il lui faisait boire dans le creux de sa main. Cela explique ce mot de ses biographes, que sa charité était celle d’une mère : Sanis pater, infirmis mater erat.

À cette bonté exquise, joignez le prestige de tant de qualités supérieures : une science très profonde et qui paraissait surnaturelle, l’austérité de mœurs la plus rigide, mais sans excès, sans faste et comme sans effort ; ajoutez encore un visage noble et pur où brillait doucement un air de sérénité angélique, et vous comprendrez l’influence prodigieuse qu’Anselme exerçait, autour de lui, et tous les miracles attribués par le moine Eadmer, son naïf et sincère biographe, à sa seule présence. « Une fois, à l’heure de minuit, quand toute la maison était plongée dans le repos, un moine malade et couché dans l’infirmerie (c’était un ancien du couvent, jaloux ennemi d’Anselme) se mit à pousser des cris extraordinaires, comme frappé d’un spectacle effrayant. On accourt, on le trouve tremblant et pâle, on le questionne, et il répond que deux énormes loups le tiennent étouffé et lui serrent la gorge avec leurs dents. Riculfe, un des assistans, se hâte d’aller chercher le prieur enfermé pour corriger des manuscrits. Anselme vient, et, levant la main, il prononce, en faisant le signe de la croix, les paroles consacrées. Tout à coup le malade se calme, et, d’un visage serein, il remercie Dieu. Dès le moment où Anselme a paru sur la porte, la main levée, il a vu, dit-il, une flamme en forme de lance sortir de sa bouche, et venir frapper les loups qui ont pris la fuite. Cependant Anselme s’approche de lui, et, lui parlant à voix basse du salut de son âme, il reçoit l’aveu de ses péchés, et lui donne l’absolution générale, annonçant qu’à l’heure où les moines se lèveront pour nones, leur frère