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par la grande. La monarchie possédait enfin une admirable armée, commandée par de jeunes généraux créés par elle et réputés les meilleurs de l’Europe. Cette armée avait vu grandir dans ses rangs des princes qu’une noble confraternité de périls unissait étroitement à ses chefs. On tenait pour stratégiquement résolu le problème de protéger à jamais Paris contre un coup de main révolutionnaire, et les cabinets les plus anciennement hostiles à la dynastie d’Orléans la réputaient inexpugnable derrière le double rempart de la force armée et d’une politique pacifique appuyée par tous les pouvoirs de l’état. C’est dans la plénitude de cette puissance matérielle et légale, garantie par des institutions demeurées jusqu’au bout inviolables, servie par la présence et par le bras de ses plus illustres soldats, que cette monarchie devait disparaître devant des ennemis anonymes, plus étonnés de leur facile triomphe que la France, qui consentait à le subir : ruine sans exemple, consommée sans susciter une résistance de la part des défenseurs naturels et immédiats de la royauté !

Cette catastrophe constate sans doute, moins encore par sa soudaineté que par ce qu’elle a de fatal, ce qu’il y avait d’artificiel et d’incomplet dans le mécanisme de la constitution de 1830. Le reproche le mieux fondé qu’on puisse adresser en effet au gouvernement représentatif, auquel il est devenu de mode d’en adresser de si différens, c’est d’avoir formé une génération incapable de le défendre et presque de le regretter, à en juger par la facilité avec laquelle une minorité a triomphé de la nation, et par la longue prostration qui a suivi cette déplorable victoire. Il y avait dans l’ensemble des lois politiques de la France quelque chose de peu favorable au développement de l’esprit public, et l’état moral dans lequel le gouvernement représentatif, après trente années d’exercice, a laissé le pays au jour de sa chute, prouve assurément quelque chose, non contre ce gouvernement lui-même, mais contre le mode selon lequel il a été pratiqué parmi nous. Le tableau dont je viens de retracer quelques traits constate également les difficultés permanentes que rencontrait la bourgeoisie française pour résister aux élémens destructeurs de l’ordre social sans le concours actif de l’ancienne aristocratie territoriale. Il suffit enfin de l’étudier avec quelque attention, pour demeurer convaincu que, si la prépondérance politique reste définitivement acquise aux classes élevées par l’intelligence et par le travail, ces classes ne conquerront la direction régulière et incontestée de la société que lorsqu’elles auront elles-mêmes reconquis l’élément vital de la sociabilité, la foi religieuse, ardent foyer de la charité populaire. Vivifier l’esprit public par l’esprit chrétien, poursuivre désormais une œuvre assez généreuse pour être tentée en commun par les hommes qui ont reçu leur situation de leurs pères