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Le mal donc s’étendait chaque jour par les mains mêmes de ceux qui avaient reçu mission de le combattre, et les hommes qui avaient conquis le droit de gouverner la société française en triomphant de l’anarchie dans les rues s’exposaient à le perdre en devenant les plus actifs propagateurs de l’anarchie des intelligences. La grandeur d’une telle prévarication fait seule comprendre celle de l’expiation soudaine qui l’a suivie. Pendant qu’il s’opérait dans les profondeurs de la nation, par les résultats pratiques de l’enseignement primaire et l’esprit dans lequel il était dispensé, un travail d’une portée incalculable, les écrivains du pouvoir, de concert avec ceux de l’opposition, travaillaient à réveiller l’impiété assoupie par l’indifférence et par la mollesse, s’inquiétant beaucoup plus du jésuite sous sa robe que du communiste sous sa blouse. Dans le temps même où le clergé s’honorait par une franche revendication des droits constitutionnels et des bienfaits de la liberté moderne, où il portait un coup irréparable à l’opinion légitimiste en constituant en dehors d’elle un parti religieux sans nulle arrière-pensée politique, la stratégie parlementaire n’imaginait rien de mieux que de le traduire au ban de l’opinion, et de jouer aux échecs ministériels, sur les vieux arrêts du parlement, les libertés gallicanes et les quatre articles de 1682 : déplorable tactique qu’explique sans la justifier l’espérance trop fondée de trouver un concours dans les passions ameutées près du pouvoir par l’ignorance et par la haine !

La majorité conservatrice, à la veille de disparaître dans le gouffre qu’elle semblait parfois prendre plaisir à creuser, mesurait la solidité de son œuvre au mouvement ascensionnel de la richesse publique, et ne soupçonnait pas même qu’il y eût quelque péril à redouter en un pays où le 5 pour 100 touchait à 125 fr. Comment ne se serait-on pas abusé sur la situation véritable des esprits et des choses ? comment aurait-on pressenti l’imminence d’une révolution au sein d’une prospérité sans cesse croissante, et lorsque les partis les plus violens,