Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement représentatif. Au lieu de faire exprimer aux députés des départemens l’opinion d’une importante fraction du territoire, on les constitua les serviteurs obligés d’étroites cupidités, et ils eurent l’air d’être des tyrans, lorsqu’ils n’étaient le plus souvent que des esclaves.

La situation personnelle des députés n’était d’ailleurs pas moins fausse et moins étrange que celle qui leur était imposée vis-à-vis de leurs commettans. On avait cru céder à une haute inspiration libérale en réduisant de moitié le cens d’éligibilité en même temps qu’on abaissait celui de l’électoral de 300 à 200 fr., comme s’il suffisait de changer un chiffre pour modifier les conditions nécessaires de l’existence et pour réduire de 50 pour 100 les dépenses obligées d’une longue résidence à Paris. Si, sous la restauration, la vie parlementaire était à peine possible aux hommes payant 1,000 francs d’impôt direct, et si l’invasion des fonctionnaires dans les deux chambres avait déjà pris des proportions énormes, comment admettre que cette proportion ne fût pas encore dépassée lorsque le cens d’éligibilité était réduit à 500 francs, et qu’on pouvait aborder la chambre à trente ans, dans la plénitude de l’ambition et de la jeunesse ? — Se pouvait-il que dans une société où les existences indépendantes sont exceptionnelles, et sous un régime auquel la grande propriété était généralement hostile, la chambre des députés ne devint pas une vaste pépinière de fonctionnaires publics, soit que ceux-ci aspirassent au séjour de Paris, qui était pour eux sans aucune charge, soit que des hommes encore sans carrière aspirassent de leur côté à des emplois salariés, comme à un dédommagement légitime de longs sacrifices ? Le mandat gratuit plaçait la chambre sous le coup de tous les besoins ; l’admissibilité de ses membres à la plupart des fonctions de l’ordre administratif et judiciaire y faisait pénétrer toutes les ambitions, même les plus infimes. Prétendre corriger, en prononçant quelques incompatibilités, un état de choses dont les difficultés provenaient des conditions mêmes de l’ordre social que la révolution française a constitué, c’était chercher dans des digues de sable un obstacle à la mer, c’était s’exposer à rendre le recrutement des chambres plus difficile sans leur restituer le calme et l’indépendance. L’opposition parlementaire, qui osait tant de choses contre le pouvoir, n’osait rien contre l’opinion, et n’avait pas le viril courage de recommander au pays le seul système que ses mœurs lui permettent de supporter, quelque répugnance qu’il lui inspire, celui d’une indemnité modérée, rendant possible et rationnelle l’incompatibilité du mandat électoral avec la plupart des fonctions publiques. Ce système a donné depuis au pays des assemblées auxquelles n’ont manqué ni les hommes considérables ni les grands talens politiques, et l’on a pu