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Les conséquences de la révolution anglaise, disons-nous, ont été principalement des conséquences politiques, et ces conséquences découlent de l’histoire même de l’Angleterre. Est-ce là le caractère de la révolution française et du développement historique qui la prépare ? Il n’est pas nécessaire d’approfondir beaucoup ce mouvement, que décrit M. Thierry dans ses Essais sur la formation du tiers-état, pour voir qu’il aboutit par-dessus tout à deux résultats principaux : l’unité dans le pays et l’égalité dans les rapports sociaux. L’égalité dans les rapports sociaux, c’est surtout par les institutions civiles qu’elle s’obtient. Aussi est-ce dans l’ordre civil que la révolution française s’est manifestée le plus invinciblement, et a eu ses conséquences les plus essentielles. Veut-on savoir le caractère fondamental d’une révolution ? On n’a qu’à observer ce qui reste d’elle, ce qui survit à tout, ce qui surnage à travers toutes les tempêtes. En Angleterre, ce sont les prérogatives politiques ; en France, ce sont les prérogatives civiles. Lorsqu’après dix ans d’anarchie le premier consul vient rasseoir la société française, les résultats politiques de la révolution disparaissent subitement comme une décoration de théâtre ; les résultats civils survivent et sont fixés dans le code qui régit actuellement encore la France. Telle est donc la différence des deux révolutions. L’une a eu surtout des conséquences politiques ; l’autre, en ce qu’elle avait de plus durable, a eu surtout des conséquences civiles, conséquences nées de cet instinct d’égalité et de démocratie qui a fait du tiers-état en 1789, non pas quelque chose comme le demandait Sieyès, mais tout. Oui, sans doute, en tout ce qui est purement civil, la France jouit d’un étal supérieur à celui de la plupart des peuples de l’Europe. Il n’est point de pays où la loi soit plus équitable pour tous, où il y ait moins de traces d’inégalités choquantes, où les barrières entre les classes soient plus aplanies, où toutes les voies du travail, de la fortune, du pouvoir, soient plus accessibles à tout le monde, où la division des propriétés soit plus immense. En outre, cette vaste unité créée par la révolution a fait de la France entière un peuple vivant de la même pensée, obéissant aux mêmes impulsions, dépendant des mêmes pouvoirs, soumis aux mêmes juridictions. C’est une société régulièrement administrée, organisée, jugée, distribuée, nivelée. Quelle en est la conséquence au point de vue politique ? Les révolutionnaires qui ont le plus poussé à l’excès de ce nivellement ne l’ont jamais aperçue, ils n’ont pas vu qu’ils rendaient le pouvoir d’autant plus nécessaire et, en certaines heures de crise, d’autant plus prépondérant dans un état de ce genre, ou, pour parler comme une brochure récente sur le Principe d’autorité depuis 1789, « dans une démocratie de trente-cinq millions d’habitans, qui est comme une vaste superficie où règne avec une entière égalité un mouvement prodigieux et quelquefois turbulent dans les idées et les intérêts. »

Pourquoi le succès a-t-il si peu couronné les efforts de tant d’hommes éminens et de plusieurs gouvernemens pour faire marcher ensemble la liberté politique et les tendances absolument démocratiques de la société civile ? C’est qu’il ne suffit pas, pour que la liberté existe dans un pays qu’elle soit dans les mots ; il faut qu’elle soit dans les choses, qu’elle ait en quelque sorte des asiles, des citadelles dans des institutions locales, dans des classes même, si l’on veut, là où ces classes politiques existent ; il faut qu’elle ait son foyer