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Sackville. Une pensée ingénieuse et vraie y soutient l’imagination du poète ; il cherche l’idylle au sein de l’histoire. N’y a-t-il pas, sur les sillons roulés par les batailles, des fleurs qui s’épanouissent le lendemain, sans souci des événemens de la veille ? n’y a-t-il pas, au milieu des catastrophes publiques, des sentimens que rien n’efface, des cœurs toujours prêts à aimer, une poésie toujours prête à fleurir ? Lorsque l’électeur palatin Frédéric V, en acceptant la couronne de Bohême des mains d’un peuple révolté, donna le signal de la guerre de trente ans et fut presque aussitôt dépouillé de ses états héréditaires par l’Autriche victorieuse, sa jeune femme, abandonnée au milieu de la déroute, se confia elle-même à la garde d’un jeune gentilhomme écossais qui l’avait suivie à la cour de son mari. C’était, comme on sait, cette gracieuse fille des Stuarts, Elisabeth d’Angleterre, fille du roi Jacques Ier ; le gentilhomme s’appelait Sackville. Il ramena la reine à Londres à travers mille dangers. Bien des années après, un de ses amis, un autre gentilhomme écossais, Bruce, ayant conté l’aventure à Versailles de façon à égayer le grand roi et ses courtisans, le vieux Sackville provoqua son ami en duel. Le combat fut court et terrible, les deux champions tomberont morts. Le célèbre écrivain anglais Thomas Carlyle possède les lettres échangées à cette occasion entre Bruce et Sackville, et c’est lui qui a indiqué ce pathétique sujet au poète de la Bohême. M. Hartmann a bien mis à profit ce précieux dépôt ; il a trouvé dans les lettres de Sackville un poème plein d’originalité et de passion. — La fleur de la chevalerie anglaise, convoquée comme pour une fête, est réunie dans le château de Sackville. Le vieux duc attend lord Bruce, dont il a exigé une réparation ; il a voulu que ses témoins fussent nombreux ; il a voulu aussi, avant le combat, raconter à tous les seigneurs du royaume l’aventure qui a excité les railleries de lord Bruce et laver de tout soupçon injurieux la mémoire de la reine de Bohême. Écoutez le récit du vieillard. Les flammes de la jeunesse s’allument tout à coup sur son front. Il voit la Bohême envahie, l’armée de Frédéric V en déroute, la jeune reine abandonnée ; il la fait monter à cheval et s’enfuit avec elle. Les cavaliers autrichiens poursuivent les fugitifs ; mais le cheval de Sackville vole comme le vent. Comme il prend soin de la jeune reine ! Quelle tendre et respectueuse vigilance ! et lorsque, serrés de près par les ennemis, ils se jettent dans le sombre asile de la forêt, quel calme charmant succède à ces tumultueuses émotions ! Rien de plus gracieux que ce tableau idyllique. Au dehors, tout est à feu et à sang ; ici, le calme, la sérénité, les souvenirs du pays natal mélodieusement évoqués, et le chevaleresque gentilhomme écoutant on extase les rêves de sa souveraine. Est-ce le dévouement qui l’inspire ? est-ce l’amour ? Il ne le sait, et ces tendresses voilées, cette pure et respectueuse délicatesse ont passé dans les vers du poète. L’intérêt de l’idylle s’accroît encore quand on songe au rôle que la jeune reine a rempli dans l’histoire. Malgré cette catastrophe de la guerre de Bohême, sa vie semble peu éclatante, mais elle est la sœur de Charles Ier, elle est la mère de la savante Elisabeth qui était L’amie de Descartes, elle est la belle-mère de cette brillante Anne de Gonzague dont Bossuet a prononcé l’oraison funèbre, et c’est par elle enfin que la maison de Hanovre occupe aujourd’hui encore le trône de la Grande-Bretagne. Habilement indiqué dans le récit, ce rôle de la jeune femme relève le tableau des heures sereines passées sous les abris de la forêt. L’auteur a bien rendu toute