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d’un chef de sauvages, prétendu roi des Mosquitos, descendant problématique et successeur supposé de caciques caraïbes qui, du temps des boucaniers, auraient rendu des services aux flibustiers anglais dans leurs courses sur les galions d’Espagne, ces droits sont ridicules, et l’usage qu’on en a fait est odieux. Jamais les devoirs d’une reconnaissance qu’on n’avait pas n’ont été revendiqués dans une plus triste cause que dans l’intérêt de ce malheureux et grotesque potentat, dont le père, un ivrogne fieffé, avait d’ailleurs vendu je ne sais combien de fois son royaume en détail à tous les trafiquans qui avaient quelques bouteilles de rhum à lui donner. En 1850, il existait et probablement il existe encore, à Saint-Jean de Nicaragua, un ancien marin anglais un américain, on ne sait lequel, du nom de Samuel Shepherd, qui réclame, lui aussi, quelques bribes de ce royaume à lui concédées par un acte en bonne et due forme, signé de la croix du feu roi et de celle de ses ministres. Quant à l’authenticité de l’acte en question, personne ne la conteste, pas même le prince actuel, qui n’a trouvé d’autre réponse que celle-ci aux réclamations du capitaine Shepherd : « .Mon père était ivre quand il a fait cela. » Sans compter la Grande-Bretagne, il y a cinq ou six prétendans qui ont sur le royaume des Mosquitos des droits tout aussi bien fondés que ceux du capitaine Shepherd.

Le motif de cette usurpation audacieuse, c’était le désir de s’emparer du seul port par lequel puisse déboucher dans l’Océan Atlantique ce canal, objet de si sérieuses appréhensions, et afin que rien ne manquât à la violence du procédé, afin de prouver que lord Palmerston était prêt à commettre dans cette affaire toutes les injustices imaginables, il s’emparait en même temps, dans l’Océan Pacifique, de l’île du Tigre, située au fond de la baie de Fonseca, ou point désigné par les projets qui semblent être les plus raisonnables pour faire déboucher le canal du côté de l’occident. Toutefois s’il avait étudié les projets des ingénieurs, il avait oublié, dans sa précipitation, de demander à qui appartenait cette île, qui représente une position si importante. Il avait mis la main dessus, croyant, qu’elle appartenait à l’état de Nicaragua, avec qui il avait eu soin de se faire une querelle à propos de son protégé Sambo ; mais, quand on en vint aux explications, il se trouva que le Nicaragua n’avait jamais prétendu à la possession de cette île et qu’elle était réclamée par les deux états de San-Salvador et de Honduras, avec lesquels le noble lord n’avait pas songé à mettre sa procédure en règle. C’était une étourderie, aussi fallut-il déguerpir. À une autre époque, il serait sorti des tempêtes de ces actes de violence, ou plutôt l’Angleterre n’eût pas osé les commettre ; mais alors l’Europe était trop profondément plongée dans les désordres qui éclatèrent partout après la