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croire libérés de leurs engagemens par le fait d’une déclaration de guerre, se relâchèrent peu à peu de leur rigorisme et reprirent leurs affaires[1]. Alors les Américains jetèrent les hauts cris, et les Anglais, qui avaient commencé par payer des sommes énormes, eurent encore le déplaisir de se voir poursuivis par les clameurs de leurs rivaux pour avoir manqué à la foi jurée, à la sainteté du serment, etc.

Les faits du même genre se représentent tous les jours, partout et à propos de tout. Voyez par exemple dans la baie de Rio-Janeiro, de Valparaiso ou de Naples, cette frégate américaine qui arrive si fièrement au mouillage. En même temps qu’il surveille sa manœuvre, le commandant cherche du regard et calcule la position du bâtiment de guerre anglais dont il a déjà reconnu la flamme ou le pavillon ; il dédaigne les autres. C’est auprès de l’Anglais, aussi près que possible, que l’Américain ira jeter son ancre. Une fois cette opération terminée, il envoie dans ses hunes des vigies chargées de le tenir au courant de tout ce que fera le voisin, et voici entre mille une des occurrences qui se présenteront : un coup de sifflet vient de retentir à bord du bâtiment anglais ; un peloton se forme aussitôt sur le gaillard d’arrière où l’officier de quart le passe en revue, et en même temps deux hommes, descendus par les échelles de corde qui pendent du couronnement ou des tangons, s’empressent de conduire une embarcation le long du bord. Plus de doute, c’est un canot qu’on expédie, et c’est à terre qu’il va se rendre ; la tenue des hommes, le soin avec lequel on a passé l’inspection le prouve suffisamment à des yeux exercés. Le commandant américain, prévenu par ses vigies, donne l’ordre d’armer immédiatement le pareil du canot qui va partir de chez ses voisins, avec recommandation de ne pousser, de ne se mettre en route, que lorsqu’ils auront commencé leur mouvement. Les Anglais sont plus gras et plus roses, ils ont l’air plus frais et plus vigoureux ; vous parieriez peut-être pour eux dans la lutte qui va s’engager ; les sharp faced Yankees, les Américains, à figure en lame de couteau, aux yeux ronds et ardens, au teint pâle, sont plus maigres, mais ils sont plus grands, ils ont plus de nerf, ils sont d’un pays où l’on ne regarde guère à tuer un homme ou à faire sauter un navire quand il s’agit d’arriver le premier, et ils savent que, s’ils se laissent battre, ils seront bafoués par leurs camarades, si même ils ne sont pas menacés de pis encore. On part donc, et souvent, bien souvent, ce sont les Américains qui touchent terre les premiers. Les officiers anglais pour le service de qui l’embarcation a été armée

  1. Il n’est, — à notre connaissance du moins, — qu’un seul négociant anglais qui soit malgré tout resté fidèle au surinent qui lui avait été arraché par la violence : c’est M. Lancelot Dent.